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La Chaire a lu pour vous Natural Capital, Valuing the Planet de Dieter Helm

Publié le 25 septembre 2019

Dieter Helm est professeur de Politique Energétique à l’Université d’Oxford et chercheur associé à la Smith School. Il est président du Natural Capital Committee, organisme de conseil auprès des pouvoirs publics sur le capital naturel au Royaume-Uni. 

Les lignes suivantes développent plusieurs arguments exposés dans le livre, basés sur la sélection du lecteur. 

« This book sets out to explain how the failure to preserve and protect many of our natural assets can be turned around by thinking about the problem in terms of natural capital ». Natural Capital, Valuing the Planet [1] , (p.7).

Publié en 2015, l’ouvrage de Dieter Helm intitulé «Natural Capital, Valuing the Planet» propose une nouvelle approche pour endiguer la crise environnementale que traverse le monde. Bien que difficile à mettre en place, Helm appelle à un changement en profondeur des règles comptables macroéconomiques afin de prendre en compte le capital naturel. Pour ce faire, cela impliquerait préalablement un changement de paradigme économique lors de la prise en compte des générations futures dans les choix économiques d’aujourd’hui.

Pour commencer, Helm définit le capital naturel comme «tout ce que la nature donne gratuitement» et établit deux catégories distinctes. D’une part, le capital naturel non renouvelable qui ne peut être utilisé/valorisé qu’une seule fois (par exemple, le gaz, le pétrole de la mer du Nord, etc.) et, d’autre part, le capital renouvelable représentant les écosystèmes naturels (par exemple, les rivières). Contrairement à toute autre forme, le capital renouvelable se reproduit à un coût nul et procure des bénéfices sur une période infinie, à condition que le stock de capital ne tombe jamais au-dessous d’un certain seuil de reproduction (par exemple, les stocks de poisson). En d’autres termes, s’il est géré intelligemment, nous pouvons en jouir à perpétuité (et la valeur est illimitée!). Cela rend le capital renouvelable très précieux pour le genre humain et lui procure un caractère singulier par rapport aux autres (par exemple, le travail, les technologies). En conséquence, les politiques environnementales devraient viser le maintien d’un stock déterminé scientifiquement de manière à ce que le seuil critique de ce capital ne soit jamais dépassé – et que le capital renouvelable ne devienne pas capital non renouvelable.

De ce point de vue, une approche pertinente à adopter consiste à considérer le capital naturel comme une gamme d’actifs en tant que tel. Cette dernière amènerait les économistes à aborder le capital renouvelable en tant qu’actif à préserver plutôt qu’un capital visant à produire un output – et substituable par d’autres capitaux (par exemple, le travail, les machines, etc.). Par rapport au XXe siècle, il s’agit d’un appel à un changement radical de paradigme.

De là, en considérant la définition du développement durable définie dans le rapport Brundtland (1987) comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs», Helm suggère que les politiques doivent en particulier se focaliser sur les actifs dit « à risques » (proches du seuil de reproduction) et en assurer la maintenance afin de léguer le capital aux générations suivantes. Cela suppose un deuxième changement de paradigme, à savoir passer de l’approche actuelle fondée sur l’utilité des futures générations à une approche fondée sur les capacités (Sen) en ce qui concerne l’héritage des générations futures. En d’autres termes, il convient de ne plus se focaliser  uniquement sur le niveau d’utilité dont les générations futures doivent jouir – qui écarte par ailleurs la question des actifs nécessaires pour se faire – mais d’avoir une perspective basée sur les actifs en tant que « capabilités » par lesquels les individus peuvent exercer des choix et sont capables de participer à l’économie et à la société (par exemple, un climat décent, etc.). Cela signifie léguer un capital naturel au moins aussi bon que celui dont nous jouissons avec lequel les générations futures pourront exercer leurs choix. Que le lecteur accepte l’argument ou non, les recherches scientifiques nous suggèrent que les règles actuelles de nos économies ont conduit à une crise mondiale du capital naturel, menant aux discussions sur la dimension non durable de la croissance.

À partir de là, comment traduire cette approche fondée sur les actifs en pratique/politique?

En ce qui concerne les marchés, la mise en œuvre de politiques est pertinente si une règle / un objectif bien défini est suivi / ciblé. Pour le capital naturel, simple à énoncer mais tout sauf simple à mettre en œuvre, la règle à suivre est la suivante: «le niveau global du capital naturel ne doit pas baisser». Bien qu’intuitive, les questions sur les applications pratiques ont généré deux approches de pensée: une règle de capital naturel agrégé « weak » et une règle de capital agrégé « strong ». La première postule que le niveau de capital renouvelable doit être maintenu au moins constant et qu’il doit y avoir une compensation générale pour le capital due à l’épuisement des ressources non renouvelables. La seconde suggère que le niveau global de capital naturel renouvelable doit être maintenu au moins constant et que la valeur des rentes économiques provenant de l’épuisement des ressources non renouvelables doit être investie dans le capital naturel renouvelable. Par conséquent, la principale différence concerne la gestion des rentes économiques non renouvelables. Investir dans les services publics tels que les hôpitaux, les écoles ? C’est l’approche « weak ». Ou bien investir dans le capital naturel renouvelable pour restaurer le capital naturel et laisser un capital plus élevé aux générations futures? C’est l’approche « strong ».

En tout état de cause, même si tout ne peut pas être préservé, chaque dommage au capital naturel doit être compensé par des gains réalisés ailleurs. Comme discuté, le niveau de capital naturel doit être maintenu et augmenté. En ce qui concerne les ressources non renouvelables, cela renvoie à la génération qui en profite. Mais lorsqu’elles sont dégradées, une compensation est nécessaire et les revenus excédentaires doivent être utilisés pour protéger et améliorer le capital renouvelable. Précisément, si vous dégradez l’environnement (par exemple, la pollution des sols par une entreprise), vous devez payer une compensation afin qu’aucune perte nette (économique) ne soit observée. Cela est étroitement lié au concept d’externalités négatives et de taxes environnementales. Une taxe efficace sur une tonne de carbone est fixée au niveau du coût social du carbone associé (par exemple, dommages sur la santé, dégradation du climat). D’un point de vue économique, internaliser l’externalité est efficace et permet de réduire les impôts ailleurs dans l’économie (double dividende). De la même manière, Helms suggère que les rentes provenant de l’épuisement des ressources non renouvelables doivent servir de fonds pour la restauration du capital naturel. Dès lors, des investissements verts importants pourraient générer une croissance durable et donc freiner le déclin du capital naturel.

Plus généralement, «Natural Capital, Valuing the Planet» constitue une tentative de mesurer et de valoriser le capital naturel d’un point de vue économique. Au lieu d’être des concepts opposés, Dieter Helm montre que l’environnement doit être au cœur de l’économie et qu’une croissance durable n’est possible que dans ce contexte.

Côme Billard, Doctorant « Appliquer l’économie des réseaux à la transition énergétique : essais sur les processus de diffusion et de négociations »

[1], Helm, Dieter, (2015) Natural Capital, Valuing the Planet, Yale University Press, English, $17.00/15€