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3 questions à Marc Baudry

Publié le 20 novembre 2017

Marc Baudry est professeur d’économie à l’Université Paris Nanterre où il dirige le département d’économie. Il est co-responsable du pôle « Prix du CO2 et innovation bas-carbone » à la Chaire Economie du Climat. Avec Béatrice Dumont il a écrit l’ouvrage « Patents : prompting or restricting innovation ? » qui vient d’être publié chez Wiley-ISTE.

Quel intérêt de publier un ouvrage sur les brevets dans le cadre de la Chaire Economie du Climat ?

Il y a un débat un peu manichéen sur la place des brevets dans l’économie en général. D’un côté les brevets se sont ancrés depuis au moins un siècle et demi dans la pratique des entreprises et cela s’est accéléré sur les dernières années à en croire la démographie des dépôts de brevets à travers le monde. De l’autre côté, le dévoiement du système des brevets est de plus en plus pointé du doigt. Les litiges en matière de brevets se développent, rendant l’effectivité de la protection des inventions très incertaine. Un « maquis » de brevets s’est constitué dont l’analyse économique montre qu’il est contreproductif en matière de promotion de l’innovation. En outre, les brevets reposant intrinsèquement sur un pouvoir de marché institué légalement, ils sont perçus comme un instrument pour capter des rentes au moins autant que pour promouvoir l’innovation.

L’ouvrage éclaire tout d’abord sur ce débat. Il rappelle qu’en matière d’innovation il n’y a pas d’instrument idéal de politique économique. Ceci essentiellement parce qu’il faut du point de vue du régulateur créer en asymétrie d’information des incitations chez les acteurs privés afin qu’ils contribuent à des inventions qui ont des caractéristiques de bien public. L’analyse économique montre que les brevets peuvent constituer un bon compromis pour y parvenir. Néanmoins, l’ouvrage montre que la place des brevets a pu changer sur les dernières décennies car le système d’innovation a évolué. L’innovation est notamment de plus en plus ouverte, c’est-à-dire co-construite par des acteurs différents, via des coopérations verticales (avec les clients et/ou fournisseurs) horizontales (avec les concurrents) ou entre amont et aval (monde académique et monde des entreprises). Ceci est d’autant plus vrai que les défis technologiques requièrent de croiser des savoirs différents, de mobiliser des moyens importants de R&D et que les acteurs font face à des incertitudes majeures. Autant de conditions qui sont tout particulièrement vérifiées par l’innovation bas-carbone. Or, l’ouvrage montre que les brevets sont loin d’être antinomiques avec l’innovation ouverte. Bien au contraire, ils vont de pair. C’est toutefois leur fonction de signal d’inventivité qui prévaut alors sur leur fonction d’incitation financière. Ils permettent ainsi de faciliter l’émergence d’un « marché des technologies ».

Quelles sont les spécificités de l’innovation bas-carbone ?

La première spécificité de l’innovation bas-carbone est qu’elle est « orientée ». En effet, l’innovation repose sur l’accumulation de savoir. Or, entre les différents types d’innovation (« verte » versus « grise » par exemple), les savoirs ne sont pas toujours transférables. Pour placer une économie sur une trajectoire « bas-carbone » il faut donc coupler un instrument de tarification du carbone pour contrôler le stock de gaz à effet de serre à un instrument visant à combler le déficit de savoir requis pour l’innovation bas-carbone. Comme le soulignait déjà Larry Goulder dans son interview du 23 octobre 2017, l’analyse économique montre qu’il est essentiel de coupler les deux. Une tarification du carbone est nécessaire mais pas suffisante pour induire le niveau optimal d’innovation bas-carbone. Dans l’ouvrage nous consacrons un passage à cette question. Il y est expliqué que le système d’incitation générique à l’innovation que constituent les brevets doit être complété pour cette raison par des instruments orientant l’innovation. C’est ce qui explique en partie le renouveau des prix d’innovation, tout particulièrement des prix d’innovation bas-carbone.

Qu’apporte votre engagement à la Chaire sur la question de l’innovation bas-carbone ?

Il y a relativement peu de centres de recherche en économie qui mettent l’accent sur l’innovation, et a fortiori qui croisent les problématiques d’innovation avec celles d’environnement. Economie de l’innovation et économie de l’environnement sont deux champs qui se développent de manière encore relativement autonome. La Chaire offre l’opportunité d’investigations à la croisée de ces deux champs et, pour de jeunes chercheurs, de s’engager dans cette direction. L’intervention de Clément Bonnet, qui a réalisé son doctorat sous ma direction, lors de la journée annuelle de la Chaire en octobre dernier a suscité un vif intérêt. Il y a mis en évidence l’intérêt d‘intégrer des aspects de « qualité » des inventions dans la mesure et le suivi des innovations bas-carbone. Il y a des attentes fortes de la part des acteurs pour de telles recherches.