Interviews

3 questions à Philippe Drobinski

Publié le 26 février 2020

Ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Lille, docteur de l’Ecole polytechnique, Philippe Drobinski est directeur de Recherche au CNRS et Professeur à l’Ecole polytechnique. Il dirige depuis 2016 le Laboratoire de Météorologie Dynamique (CNRS, École polytechnique Ecole Normale Supérieure, Sorbonne Université). Ses recherches portent sur le changement climatique et la transition énergétique en Méditerranée. Il a coordonné de nombreux programmes nationaux et internationaux sur la variabilité et l’évolution du climat de la Méditerranée et les impacts sur l’eau et l’énergie. En 2019, il a créé à l’Institut Polytechnique de Paris le Centre Interdisciplinaire Energy4Climate dont l’objectif est de répondre par une approche interdisciplinaire aux enjeux systémiques de l’atténuation climatique dans le secteur de l’énergie. Il est l’auteur de plus de 160 chapitres d’ouvrages et articles dans des revues internationales à comité de lecture. A l’Ecole Polytechnique, il dispense des cours sur le changement climatique et la transition énergétique dans le cycle polytechnicien et au niveau master. Il est également responsable d’une formation executive sur la transition énergétique.

Quelles sont vos thématiques de recherche?

Mes thématiques de recherche portent sur la variabilité et l’évolution du climat méditerranéen. En effet, la région méditerranéenne est un « hot spot » du réchauffement climatique avec une évolution régionale du réchauffement 20% plus rapide qu’au niveau global. C’est une région qui devient également plus aride avec une évolution à la baisse des précipitations moyennes annuelles, alors qu’en même temps les précipitations extrêmes augmentent en intensité provoquant des crues éclairs. Comprendre les mécanismes qui font de la Méditerranée la région de tous les extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, incendies, précipitations extrêmes et crues) est un enjeu essentiel pour à la fois en améliorer la prévision, mieux anticiper leurs impacts et quantifier leur évolution dans un contexte de changement climatique. Tout cela nécessite le développement d’outils de modélisation ad-hoc et l’analyse de très grandes quantités de mesures collectées lors de campagnes de mesure ou de façon routinière par les services météorologiques et les satellites. C’est dans ce contexte que j’ai coordonné pendant plus de 10 ans avec Véronique Ducrocq, chercheuse à Météo-France, le programme international HyMeX sur le cycle de l’eau en Méditerranée.

La nature et l’ampleur des impacts actuels et futurs du changement climatique sur la région méditerranéenne forcent à accélérer la transition énergétique dans les pays de cette région pour leur assurer une trajectoire de développement durable et inclusive. Cet impératif m’a conduit à réinvestir mes travaux en termes de prévisibilité, de variabilité et d’évolution de la production et consommation énergétique dans la région, mais aussi à élaborer des outils d’aide à la décision en termes de prévision et de modélisation intégrée climat-énergie pour les besoins de prospective. Il faut aborder analyse du changement climatique et élaboration de scénarios de transition énergétique de façon intégrée et systémique. C’est avec cette conviction que j’ai créé le Centre Interdisciplinaire Energy4Climate qui regroupe 26 laboratoires de l’Institut Polytechnique de Paris et l’Ecole des Ponts.

Que peut apporter une vision multidisciplinaire à la lutte contre le changement climatique?

La question du changement climatique est systémique. Preuve en est l’organisation des travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) en 3 groupes de travail. Le groupe 1 étudie les principes physiques du changement climatique, le groupe 2 étudie les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique et le groupe 3 étudie les moyens d’atténuer le changement climatique. Il est important que les disciplines composant ces groupes de travail collaborent de façon transversale. La conduite du changement incluant l’analyse de la faisabilité socio-technique, l’imbrication très forte des secteurs économiques clés du changement climatique, l’élaboration de scénarios intégrant à la fois mesures d’adaptation et d’atténuation, nécessitent une approche systémique et interdisciplinaire. La chaire Economie du Climat offre un cadre d’échanges multidisciplinaires allant dans le sens d’une réflexion systémique.

Quelle opportunité représente pour vous les futurs échanges avec les membres du Comité d’Orientation de la Chaire?

Le combat contre le changement climatique repose sur une action inclusive car nous sommes tous, individus et organisations, causes du problème et sources de solution. Le comité d’orientation est composé de représentants des secteurs clés du changement climatique : les secteurs de la finance, de l’énergie et de l’agriculture. Ils ont un rôle majeur à jouer pour accélérer la transformation vers une société décarbonée. Ce comité est un excellent cadre d’interactions pour justement discuter les solutions de façon systémique. Comme l’a fait mon illustre prédécesseur et ami Jean Jouzel, j’apporterai dans le comité un éclairage nécessaire et chiffrée sur l’évolution du changement climatique et ses causes. En mettant un climatologue à la présidence de ce comité, c’est assurer que l’objet d’attention sera notre bien commun qu’est la Terre. Je suis donc impatient que ce comité travaille et fournisse aux scientifiques de la Chaire un soutien pour conduire leurs recherches d’excellence sur la base des conseils éclairés issus de réflexions interdisciplinaires et multisectorielles.