Raphael Trotignon est ingénieur en génie de l’environnement des Mines de Nantes et docteur en économie de l’Université Paris-Dauphine.
Il co-dirige actuellement le pôle « Prix du CO2 et innovation bas carbone » à la Chaire Economie du Climat, où il étudie les différents mécanismes économiques permettant de donner un prix aux émissions de gaz à effet de serre.
Il a publié plusieurs articles sur le sujet et est l’auteur, avec Christian de Perthuis du livre « Le Climat : à quel prix » aux éditions Odile Jacob.
Vous publiez cette semaine un Policy Brief sur la réforme du marché carbone européen, quels en sont les principaux enseignements ?
Le paquet de réforme qui vient d’être adopté vise à faire remonter le prix sur le marché en diminuant la quantité de quotas distribuée. Nous avons quantifié ces effets en utilisant le modèle Zéphyr développé à la Chaire. Avec mon co-auteur Simon Quemin, nous montrons dans ce Policy Brief que les réformes conduisent à une diminution significative du plafond de quotas à l’horizon 2030. Toutes choses égales par ailleurs, ceci implique une forte remontée du prix du quota qui était historiquement à des niveaux très bas (moins de dix euros la tonne depuis plus de six ans), et une baisse des émissions qui va au-delà de l’objectif européen : près de -50% en 2030 par rapport à 2005 ! En revanche, il ne faut pas considérer que cette réforme « protège » définitivement le marché de tout dysfonctionnement futur. Nous soulignons en particulier la capacité stabilisatrice très limitée de la fameuse « réserve de stabilité » qui entrera en action en 2019.
Ces résultats sont basés sur une démarche de modélisation : quels en ont été les principaux challenges ?
En refondant le modèle Zéphyr, notre volonté était de trouver un mécanisme de représentation économique du marché qui soit cohérent du point de vue de la théorie, tout en permettant de rendre compte des dysfonctionnements rencontrés par le passé. Un des principaux défis a été de reconstruire l’évolution des émissions au fil de l’eau (baseline en anglais) sur la période 2008-2017. Cette réflexion nous a amené à inclure, en plus de l’influence du contexte économique, les effets du fort développement de l’électricité renouvelable et des politiques d’efficacité énergétique menées sans coordination avec la gestion du marché. Cette absence de coordination est un facteur clef des dysfonctionnements apparus, que la réforme récente ne règle pas, ce qui pose des questions en termes de gouvernance.
La réforme qui vient d’être adoptée est-elle une réussite ?
En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, l’Union Européenne est dans une démarche de renforcement de son ambition. Cela prend la forme de décisions sur ses objectifs chiffrés de réduction, qui sont assez visibles et compréhensibles par le grand public. Cela passe également par des décisions plus techniques et moins visibles, qui peuvent être significatives. La réforme récente du marché carbone européen fait partie de cette deuxième catégorie. Elle conduit effectivement à une augmentation de l’ambition européenne, qui va au-delà de l’objectif affiché en termes de réduction des émissions. Le modèle suggère donc qu’il existe un potentiel de réévaluation de l’ambition climatique européenne à des coûts relativement modestes. Nous sommes en revanche beaucoup plus sceptiques concernant la capacité stabilisatrice conférée par la réserve qui va entrer en action. Nos simulations montrent que ce « pilote automatique » ne stabilisera pas le marché en cas de futurs chocs non-anticipés.