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La Chaire a lu pour vous Bretagne secondaire : Une année au pays des volets fermés par Benjamin Keltz

Publié le 20 février 2025

Benjamin Keltz, journaliste et éditeur, s’attache depuis toujours à explorer la Bretagne sous toutes ses facettes. Fondateur des Éditions du Coin de la Rue, il y poursuit une ambition éditoriale centrée sur la mise en récit de cette région. Il est également maître de conférences à Sciences-Po Rennes et correspondant en Bretagne pour Le Monde.

Un résident secondaire écrit au maire d’Arzon pour se plaindre des cloches de l’église, qu’il accuse de perturber le sommeil de sa famille. Cette anecdote, qui peut prêter à sourire, révèle une réalité plus profonde et préoccupante : une crise du logement aux conséquences économiques, sociales et climatiques majeures en Bretagne.

Dans son ouvrage Bretagne secondaire : Une année au pays des volets fermés [i], Keltz met en lumière la transformation du littoral breton, autrefois dynamique, en un espace de plus en plus déserté hors saison. Il analyse comment la prolifération des résidences secondaires et la location touristique ont entraîné un vieillissement accéléré de la population, la fermeture d’écoles, la disparition des services publics essentiels et la détérioration d’une partie du littoral.

En toile de fond de ce récit, Keltz met en perspective cette crise avec les défis environnementaux. Il dénonce la « folie » d’un développement immobilier anarchique sur le littoral, qui fragilise des écosystèmes précieux. La multiplication des résidences secondaires et des infrastructures touristiques accentue la pression sur les ressources locales et contribue à l’artificialisation des sols, en contradiction avec les objectifs de préservation du littoral. L’auteur rappelle pourtant les combats menés par les élus pour limiter ces impacts, notamment les lois initiées par Louis Le Pensec en 1981 contre la privatisation des côtes. De plus, l’ouvrage fait le lien entre crise du logement et crise climatique. La tension sur l’accès au logement, amplifiée par les déplacements de population dus aux aléas climatiques, annonce de nouvelles mutations sociales et territoriales. Keltz offre une réflexion personnelle sur ces transformations en décrivant son propre trajet entre sa résidence secondaire en Catalogne et son domicile principal en Bretagne. Il conclut même son ouvrage avec lucidité : « La guerre des places ne fait que commencer. […] Ce qui me rassure, c’est que ce soir, je dors en Bretagne. »

Le livre est structuré en neuf chapitres, chacun explorant un aspect et un territoire spécifique de la Bretagne. Les trois premiers dressent un tableau de la crise actuelle, en donnant la parole aux habitants incapables de se loger. Ainsi, dans plus de 50 communes historiques, les résidences secondaires surpassent les résidences principales. Ces maisons inoccupées une grande partie de l’année accentuent les inégalités sociales et économiques : le manque de résidences principales sur le marché locatif empêche l’installation de nouveaux résidents, en particulier des plus jeunes et de fonctionnaires pourtant indispensables à la dynamique des territoires. L’ouvrage met également en lumière le rôle des héritages puisque 43 % des résidences secondaires sont détenues par des Bretons, souvent grâce à des transmissions de patrimoine.

L’auteur revient ensuite sur l’histoire du développement touristique en Bretagne, depuis l’émergence des stations balnéaires jusqu’à l’avènement des locations saisonnières. On apprend par exemple qu’au début du XXe siècle même les universitaires font construire leur résidence secondaire en Bretagne, comme à Ploubazlanec ou quatre prix Nobel ont possédé une résidence et que l’on surnomme alors « Sorbonne-plage ». Il examine également les motivations et le point de vue des propriétaires de résidences secondaires, tout en critiquant l’inaction des pouvoirs publics, selon lui prisonniers d’une idéologie capitaliste où le marché devrait s’autoréguler.

Le principal atout de Bretagne secondaire réside dans son équilibre entre récit personnel et rigueur documentaire. Keltz appuie ses observations sur des données solides et des références littéraires et économiques, tout en maintenant une narration accessible et engageante. Les témoignages recueillis lors de l’enquête sont entrecoupés d’anecdotes marquantes, comme celle des actions violentes menées par le Front de Libération de la Bretagne. Il enrichit également son propos par des comparaisons internationales, notamment avec la Grèce et l’Espagne, replaçant ainsi la crise bretonne dans un contexte plus global. Enfin, la pluralité des points de vue — habitants, élus, propriétaires — apporte une vision nuancée de cette problématique complexe.

[i] Keltz,B., illustrations Bocel, J., Bretagne secondaire: Une année au pays des volets fermés, Ed. Coin de la rue, Novembre 2023, pp 264.

Marie Bruguet, doctorante CEC.