Les bases des connaissances scientifiques sur les changements climatiques ont été établies de longue date par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le premier rapport a été publié en 1990. Le GIEC y soulignait alors le rôle déterminant de la coopération internationale pour limiter les conséquences du réchauffement planétaire. Près de 30 ans plus tard et malgré les avertissements croissants de la communauté scientifique sur les risques inhérents aux changements climatiques, il faut reconnaître que trop peu d’efforts ont été accomplis afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, les manifestations de la « crise climatique » sont de plus en plus visibles, rappelant la nécessité d’une diminution rapide et massive des émissions de GES au niveau mondial.
Cette exigence figure au cœur de l’ouvrage dont le point de départ est de considérer que l’action collective contre le changement climatique est « le problème politique et économique le plus complexe que le monde n’ait jamais connu ». Les éditeurs ont recueilli les contributions d’universitaires et de praticiens de premier plan pour nous aider à comprendre les principaux défis auxquels font face les politiques d’atténuation dans le monde et les outils à la disposition des décideurs pour les relever. Ces contributions s’articulent autour de quatre grands thèmes : la transition énergétique, la tarification des émissions de carbone, l’application des accords climatiques et le rôle de la finance verte.
L’année 2018 a été marquée par la tenue de la COP 24 en Pologne, pays où le charbon représente encore près de 80% de la production d’électricité et la publication quelques mois plus tôt du rapport spécial 1,5° du GIEC, rappelant la nécessité d’agir rapidement pour limiter le réchauffement climatique. C’est précisément la raison de ce livre dont la force réside dans la mise en cohérence de contributions variées, à la fois théoriques, empiriques et de praticiens, couvrant un large éventail des questions climatiques. Il nous fournit ainsi les clés pour les aborder de la manière la plus souhaitable et la plus efficace.
Boris Solier, Co responsable du programme Transitions Energétiques
Coping with the climate crisis. Mitigation policies and global coordination
de R. Arezki, P. Bolton, K. El Aynaoui, M. Obstfeld publié par Columbia University Press (214 pages).
Retrouvez un résumé long de Boris Solier paru dans Economics of Energy and Environmental Policy Volume 8 Number 1 ici traduit en français :
Les bases des connaissances scientifiques sur les changements climatiques ont été établies de longue date par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le premier rapport a été publié en 1990. Le GIEC y soulignait alors le rôle déterminant de la coopération internationale pour limiter les conséquences du réchauffement planétaire. Près de 30 ans plus tard et malgré les avertissements croissants de la communauté scientifique sur les risques inhérents aux changements climatiques, il faut reconnaître que trop peu d’efforts ont été accomplis afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, les manifestations de la « crise climatique » sont de plus en plus visibles, rappelant la nécessité d’une diminution rapide et massive des émissions de GES au niveau mondial.
Cette exigence figure au cœur de l’ouvrage dont le point de départ est de considérer que l’action collective contre le changement climatique est « le problème politique et économique le plus complexe que le monde n’ait jamais connu ». Les éditeurs ont recueilli les contributions d’universitaires et de praticiens de premier plan pour nous aider à comprendre les principaux défis auxquels font face les politiques d’atténuation dans le monde et les outils à la disposition des décideurs pour les relever. Ces contributions s’articulent autour de quatre grands thèmes : la transition énergétique, la tarification des émissions de carbone, l’application des accords climatiques et le rôle de la finance verte.
- La transition énergétique
Les deux premiers chapitres abordent la question des multiples dimensions de la transition énergétique et du temps qui reste pour décarboner l’économie. Au cours des deux derniers siècles, les transitions énergétiques ont été caractérisées par une forte augmentation du recours aux combustibles fossiles qui s’est traduite par accumulation sans précédent de CO2 dans l’atmosphère. L’enjeu de la transition bas carbone est de retirer progressivement les combustibles fossiles et de réduire les émissions de CO2 à un rythme compatible avec les trajectoires préconisées depuis de nombreuses années par le GIEC.
Philippe Benoit (chapitre 1) montre que cela requiert d’agir sur deux leviers simultanément : la décarbonation des approvisionnements énergétiques via le recours aux énergies renouvelables et la réduction de la consommation énergétique par le développement de l’efficacité énergétique. Cette analyse peut paraître triviale mais elle se révèle déterminante sitôt que nous voulons faire en sorte que les sources décarbonées ne viennent pas acroître la quantité d’énergie disponible en s’ajoutant aux sources fossiles mais s’y substituent.
A quelle à vitesse les combustibles fossiles doivent-ils être retirés du mix énergétique ? Rick Van der Ploeg (chapitre 2) apporte une réponse originale à cette question à partir d’un modèle d’évaluation intégrée de type DICE dans lequel il intègre une contrainte de budget carbone. Ce concept documenté par le GIEC correspond au plafond d’émissions de CO2 cumulées depuis l’ère préindustrielle permettant de respecter l’objectif de 2°C avec une probabilité de deux tiers. L’auteur montre qu’en l’absence de contrainte sur le volume maximal d’émissions, le délai pour atteindre un mix 100% renouvelable est trop important, se traduisant par un dépassement de la cible 2°C. La prise en compte d’une contrainte de type budget carbone revient à ajuster le prix optimal du CO2 de sorte à décarboner le secteur énergétique plus rapidement.
- La tarification du carbone
Cette approche contraste avec la façon dont les économistes ont depuis longtemps adressé le dilemme climatique. Dans la plupart des études, un prix optimal du carbone est généralement dérivé des estimations du coût social du carbone (CSC). Mais comme le fait très justement remarquer Christian Gollier (chapitre 3), les estimations de la valeur actuelle des dommages marginaux sont soumises à de nombreuses incertitudes et aucun consensus n’existe en la matière entre économistes. Cela est particulièrement évident lorsqu’il s’agit de choisir un taux d’actualisation de référence.
Les travaux pionniers du Prix Nobel 2018, William D. Nordhaus, qui a été critiqué pour avoir préconisé des prix du carbone trop modestes dans les politiques climatiques, constituent une bonne illustration de ces divergences. Le budget carbone, libre de toute considération intergénérationnelle et basé uniquement sur les lois naturelles de la physique et de la chimie, apparaît en ce sens être un meilleur critère pour fixer le rythme de la transition énergétique.
Ces travaux sont utiles pour éclairer la question du niveau souhaitable du prix du carbone. Cela dit, malgré qu’un nombre croissant de pays aient mis en œuvre des politiques de tarification du carbone au niveau national, parfois depuis de nombreuses années comme en Suède, les combustibles fossiles demeurent bien souvent taxés à un niveau insuffisant, voire subventionnés. Ian Parry (chapitre 4) fournit une comparaison édifiante de l’écart entre les prix actuels de l’énergie dans les pays du G20 et les coûts liés aux externalités des combustibles fossiles. Il apparaît que dans la plupart des pays, les prix du charbon et du gaz ne couvrent que les coûts d’approvisionnement et non les coûts environnementaux (ni locaux ni mondiaux), tandis que les carburants routiers sont taxés de manière plus systématique mais à un niveau inférieur aux dommages climatiques associés.
Il existe par conséquent une marge de manœuvre importante pour accroître la taxation des combustibles fossiles, y compris dans les pays riches. Mais l’adoption d’une telle politique peut constituer une voie risquée pour un gouvernement si elle n’est pas bien préparée. Parry identifie plusieurs mesures que les décideurs politiques devraient adopter pour réformer de manière efficace la tarification de l’énergie : accompagner la transition par la formation des travailleurs, la protection des ménages à faibles revennus et la communication des bénéfices de la réforme.
Un processus qui a été largement ignoré dans le cadre de la mise en œuvre de la taxe carbone en France et qui peut contribuer à expliquer les origines du mouvement des « gilets jaunes ». La taxe carbone a été introduite en 2014 en France de façon presque inaperçue, dans un contexte de chute du prix des énergies fossiles. Trois ans plus tard, la nouvelle majorité au pouvoir a décidé de renforcer la trajectoire de la taxe carbone sans avoir sérieusement adressé au préalable la question de la redistribution. Mais avec le doublement du prix du pétrole entre-temps, la taxe n’est plus demeurée inconnue et a été massivement rejetée par une opinion publique peu au fait de sa finalité. Le problème est que la taxe carbone, comme la plupart des mesures environnementales, frappent les ménages à faibles revenus relativement plus durement. La question de l’équité et celle de l’acceptation sociale doivent donc être abordées avec toute la prudence requise si l’on veut réaliser efficacement la transition énergétique et endiguer la montée du nationalisme.
- La mise en œuvre des accords climatiques
Ce dernier point présente un autre risque pour les négociations internationales sur le climat. Malgré le succès diplomatique de la COP 21 à Paris, les engagements volontaires adoptés par les pays (INDC) sont loin de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C. Bien qu’il n’y ait pas eu d’effet de contagion suite au retrait des États-Unis de l’accord de Paris, les enjeux liés au respect des engagements climatiques et au renforcement de l’ambition globale du processus sont plus pertinents que jamais.
Les deux dernières parties du livre apportent un éclairage nouveau sur ces questions. Bård Harstad (chapitre 7) fait une proposition originale visant à renforcer l’application automatique de l’Accord de Paris. Il suggère, entre autres, d’inciter les pays à investir davantage dans les technologies vertes afin de limiter la tentation de ne pas respecter leurs engagements. Cela dit, bien qu’il existe des forces économiques qui soutiennent le développement des technologies vertes, au premier rang desquels la diminution des coûts, les combustibles fossiles risquent de faire encore longtemps de la résistance. Ainsi, comme le souligne Ujjjayant Chakravorty et al. (chapitre 10) dans le cas particulier de la Chine, un prix du carbone sera nécessaire pour atteindre les objectifs d’émission.
L’adossement de la négociation climatique à une référence de prix du carbone pourrait par ailleurs contribuer à donner davantage de crédibilité aux INDCs. C’est le point de départ de Martin Weitzman (chapitre 8) qui revient sur son fameux article « Price vs Quantities » et préconise l’adoption d’un prix uniforme du carbone à l’échelle mondiale permettant de ramener la négociation climatique à une seule dimension. Il étudie le cas d’une « Assemblée mondiale du climat » dans laquelle chaque pays tirerait parti de la mise en œuvre d’un prix élevé du carbone.
En dépit de la complexité propre à une telle négociation dans le monde réel, il semble peu probable qu’elle se traduise par l’adoption d’un prix élevé du carbone, en raison notamment de l’hétérogénéité des pays. Cela fait écho à la contribution de Katheline Schubert (chapitre 5) qui montre qu’à partir du moment où les préférences sont différentes d’un pays à l’autre, la mise en place d’un prix unique du carbone requiert de réaliser d’importants transferts internationaux, ce qui apporte une dimension supplémentaire au problème initial.
L’année 2018 a été marquée par la tenue de la COP 24 en Pologne, pays où le charbon représente encore près de 80% de la production d’électricité et la publication quelques mois plus tôt du rapport spécial 1,5° du GIEC, rappelant la nécessité d’agir rapidement pour limiter le réchauffement climatique. C’est précisément la raison de ce livre dont la force réside dans la mise en cohérence de contributions variées, à la fois théoriques, empiriques et de praticiens, couvrant un large éventail des questions climatiques. Il nous fournit ainsi les clés pour les aborder de la manière la plus souhaitable et la plus efficace.