Dans son ouvrage Fire and Flood (2022) [1], Eugene Linden nous plonge dans l’histoire du changement climatique de 1979 à nos jours en suivant le progrès de quatre domaines : la réalité, le monde scientifique, l’opinion publique, et le monde des affaires et de la finance. L’interaction entre ces quatre domaines reflète notre situation actuelle. L’auteur invite le lecteur à imaginer quatre horloges qui tournent à des vitesses différentes – chaque horloge représentant un domaine distinct. L’enjeu majeur pour la lutte contre le dérèglement climatique, qui est explicité dans ce livre, est le retard des trois dernières horloges par rapport à la première, qui représente la réalité de notre situation climatique.
Eugene Linden est un journaliste primé, spécialiste des questions environnementales, dont l’ouvrage précèdent, The Winds of Change, a reçu le Grantham Prize Special Award of Merit. Dans Fire and Flood, Eugene Linden s’est lancé dans le projet de raconter l’histoire de l’ère moderne du changement climatique, après avoir suivi son déroulement depuis les années 1970. Il a rédigé des articles sur le sujet pour le magazine Time entre les années 1980 et 1990, et est intervenu à de nombreuses occasions sur la question du climat, notamment dans le cadre de documentaires et de conférences.
Dans un premier temps, Fire and Flood nous rappelle que les discussions au sein de la communauté internationale sur les enjeux liés à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre débutèrent à la fin des années 1970. En 1979, des pionniers de la recherche sur le climat présentèrent au président des Etats-Unis, Jimmy Carter, les résultats de leur papier intitulé The Carbon Dioxide Problem et prévinrent de la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre au risque de voir des dérèglements climatiques d’ici la fin du vingtième siècle.
Cependant, dès le milieu des années 1980, les effets du changement climatique commencèrent à se faire sentir. A partir de cette période, les années les plus chaudes jamais enregistrées commencèrent à s’accumuler et chaque décennie suivante atteignit un nouveau record en termes de températures. L’année 1988, notamment, établit un record historique de réchauffement planétaire. L’horloge représentant la réalité du changement climatique causé par l’homme avait commencé sa nette accélération.
Dans le même temps, l’horloge reflétant le monde scientifique était en retard par rapport à la réalité des évènements. Malgré les avertissements des scientifiques à la fin des années 1970, jusqu’au milieu des années 1990, il était supposé que le réchauffement climatique résultant de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ne se ferait sentir qu’à partir du siècle suivant et serait caractérisé par une évolution lente. De plus, Eugene Linden souligne que le retard du monde scientifique par rapport à la réalité du climat peut être attribué au processus scientifique et au temps nécessaire pour analyser et interpréter de nouvelles données.
En ce qui concerne la troisième horloge, qui reflète la sensibilisation du public au réchauffement de notre planète, Eugene Linden démontre dans son ouvrage comment, à certains moments, cette dernière était en avance, et à d’autres moments en retard. Par exemple, les années 1980 et 1990 ont été marquées par une préoccupation croissante du public pour les questions liées au climat. Même si l’opinion publique évolue rapidement, il y a encore peu de temps, un grand nombre d’habitants des Etats-Unis était en désaccord avec l’idée que l’activité humaine était en train de changer le climat – alors que cela était devenu un consensus scientifique il y a plus de vingt-cinq ans.
Enfin, la dernière horloge, qui désigne le monde des affaires et de la finance, a souvent été en retard en ce qui concerne la prise en compte du danger lié au réchauffement climatique, même par rapport à l’opinion publique. Dans son ouvrage, Eugene Linden présente les avancées récentes qui ont eu lieu au sein de ce domaine, tout en rappelant qu’il y a encore quelques années, ce milieu était principalement préoccupé par l’impact qu’une réduction des émissions pourrait avoir sur les profits. Selon l’auteur, cette dernière horloge est la plus importante dans la lutte contre le changement climatique. En effet, si les marchés étaient incités à tenir compte des coûts futurs probables du changement climatique, il considère que nous aurions agi des décennies auparavant et par conséquent, aurions pu prévenir les dérèglements climatiques que nous vivons aujourd’hui.
Eugene Linden se tourne ensuite vers la situation actuelle. Selon lui, même si le monde a enfin commencé son processus de décarbonisation, il est primordial d’accélérer celui-ci afin d’éviter un désastre climatique. Il mentionne notamment le « Pacte vert pour l’Europe » proposé par la Commission européenne qui a comme objectif d’atteindre la neutralité carbone pour l’ensemble de l’Europe d’ici 2050. Malgré que l’auteur le qualifie comme étant agressif, cet objectif implique que des gaz à effet de serre additionnels seront émis dans une atmosphère déjà surchargée durant encore trente ans. Eugene Linden rappelle qu’une augmentation des températures planétaires de 3 degrés Celsius, ou plus, rendrait la planète hostile à un grand nombre de formes de vie.
Pour l’auteur de Fire and Flood, il est essentiel d’adopter un outil qui crée, pour tous les pays, une forte incitation à réduire les émissions nettes de CO2. Eugene Linden estime que la mise en place d’une tarification carbone universelle est la clé, avec un niveau défini pour chaque pays. Grâce aux avancées dans le domaine des énergies renouvelables, qui concurrencent n’importe quel type d’énergie fossile en termes de coûts, et des nouvelles techniques permettant de capturer le dioxyde de carbone, la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi facile d’après le journaliste. Chaque pays pourrait choisir sa propre trajectoire de conformité.
Cependant, Eugene Linden relève qu’il existe un problème plus profond : les incitations biaisées de notre société de consommation. En effet, alors que notre époque nécessite un système économique qui s’adapte aux risques du changement climatique, notre économie est orientée vers l’unique objectif de la maximisation des profits. Or, la dépendance aux énergies fossiles se réduisant, nous pourrions être en train de nous rapprocher du jour où le potentiel de profit de cette transition surpassera les intérêts dans le statu quo.
En s’appuyant sur des éléments historiques, économiques et scientifiques, Fire and Flood met en lumière les décisions et les opportunités manquées qui nous ont menées à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui à l’égard du changement climatique. En outre, en se focalisant sur la nature des marchés et de la société de consommation, l’ouvrage évoque des solutions possibles pour réorienter notre économie vers une trajectoire plus durable.
Jessica Meyer, Doctorante Forêts, chocs météorologiques, et nutrition dans les pays en voie de développement.
[1] Linden, Eugene. (2022). Fire and Flood: A People’s History of Climate Change, from 1979 to the Present. Penguin Publishing Group.