Guns, Germs and steel. The Fates of Human Societies [1], prix Pulitzer de 1998, est l’un des ouvrages les plus influent du biologiste, physiologiste et géographe Américain, Jared Diamond. Le projet d’écriture de cet essai commence en 1972, lorsque Jared Diamond, alors biologiste en séjour en Nouvelle-Guinée pour étudier l’évolution des oiseaux, y fait la rencontre de Yali, un Papou, qui lui pose la question suivante : « Pourquoi est-ce vous, les Blancs, qui avez mis au point tout ce cargo et l’avez apporté en Nouvelle-Guinée, alors que nous, les Noirs, nous n’avons pas grand-chose à nous ? ». Cette question peut être reformulée de la manière suivante : « Pourquoi l’humanité ne s’est-elle pas développée au même rythme sur les différents continents ? ». S’il n’existe pas de réponse généralement acceptée au sein des disciplines s’étant intéressées à cette question, une explication immédiate demeure assez claire : le fait que certains peuples aient produit des armes à feu, des outils d’acier et certains germes avant d’autres. Mais cette explication ne répond que partiellement à la question de Yali, car le développement d’armes à feu, d’outils en acier et de ces germes sont eux-mêmes les conséquences de facteurs plus lointains. D’où la proposition de Diamond dans cet ouvrage de s’intéresser aux origines lointaines des inégalités parmi les sociétés humaines en explorant les 13,000 dernières années de notre existence, à travers une analyse multidisciplinaire. Il remet en question une idée préconçue qui attribuait ces différences de développement à des caractères génétiques. L’idée centrale défendue ici est que « L’histoire a suivi des cours différents pour différents peuples en raison des différences de milieux, non pas de différences biologiques entre les peuples. »
La première partie du livre, « De l’Eden à Cajamarca », pose le cadre en faisant un survol de l’histoire de l’évolution humaine et de la répartition de nos ancêtres sur la surface de la planète jusqu’à la fin de l’ère glaciaire, il y a 13,000 ans. Puis, à partir de cette date, l’analyse se fait avec un focus sur une petite population bien particulière, les habitants de la Polynésie. Une interrogation est primordiale dans la démarche de Diamond : comment démontrer les liens de causalité entre les différences de milieux continentaux d’il y a des milliers d’années et les inégalités que l’on observe aujourd’hui ? Une méthode serait alors de réduire l’horizon temporel et la surface d’observation. Un cas d’étude pertinent, le peuplement des îles du pacifique par les ancêtres des polynésiens permet alors de comprendre comment une société polynésienne unique a engendré en l’espace de quelques millénaires, sur des îles diverses, un large éventail de sociétés aux fonctionnements différents. Enfin, cette partie introduit les collisions entre populations de différents continents dont l’une des plus importantes, la rencontre entre les conquistadores espagnols et les premiers habitants du continent américain ainsi que l’issue de cette collision. Les facteurs immédiats ayant joué dans la divergence des trajectoires de développement et l’issue des collisions entre habitants de ces deux continents sont présentés : la possession d’armes à feu, d’objets en acier, d’animaux de guerre et de certains germes par les espagnols.
Dans la deuxième partie, les causes lointaines les plus importantes des inégalités parmi les sociétés humaines sont énumérées : la production alimentaire, la domestication des animaux et des plantes. La troisième partie explique la chaîne de causalité ayant conduit au développement de la production alimentaire, de la domestication, du développement de certains germes par certains peuples avant d’autres et comment ces changements leur ont attribué un avantage. L’analyse de ces chaînes de causalité permet de remonter à la naissance de l’écriture qui a été déterminante et caractéristique de sociétés les plus développées. La naissance de ces innovations et leur diffusion sont permises par la disponibilité locale d’un certain type d’animaux et de plantes et par l’orientation des axes continentaux ayant favorisé la naissance de sociétés plus denses, sédentaires, avec des artisans spécialisés et des armées professionnelles, capables d’entretenir des bureaucraties. Ainsi, ces deux parties mettent en évidence quatre ensembles de différences continentales écologiques qu’il est possible de quantifier objectivement, ayant affecté la trajectoire des sociétés humaines : les différences continentales concernant les espèces végétales et animales ayant constitué le point de départ de la domestication ; les caractéristiques continentales affectant les rythmes de diffusion ou de migration intracontinentale ; les facteurs continentaux affectant la diffusion et la migration intercontinentale ; et les différences de superficie et de population d’un continent à un autre. Enfin, dans la quatrième partie, Diamond applique les leçons tirées des deuxièmes et troisièmes parties aux grands continents et principales îles du monde. Sur chacune de ces zones géographiques, l’histoire des causes de l’évolution économique des sociétés est assez similaire mais avec des distinctions notables.
Il est important de souligner la complexité de l’exercice auquel se soumet Diamond et l’important effort méthodologique employé qui permet d’exposer des raisons certes pertinentes mais qui demeurent tout de même non exhaustives. De fait, une part importante des questions posées par Yali demeure malgré tout sans réponse. Il donne également des indications sur d’autres aspects permettant d’apporter un éclairage supplémentaire sur la question et auquel le présent travail ne permet pas d’apporter de réponse. Par exemple, il ne peut expliquer pourquoi ce sont les européens de l’ouest qui ont conquis et dominé l’Amérique et l’Australie et non pas les habitants du Croissant fertile, de la Chine ou de l’Inde, alors qu’en se basant sur les conditions géographiques et le niveau de développement de ces deux zones de l’Eurasie avant 1450, la domination finale (actuelle) de l’Europe était la moins probable car cette dernière était, entre 8500 avant J.C et 1450, la plus arriérée de ces trois régions. En ce qui concerne le Croissant fertile, l’Europe a gagné un grand avantage à partir du moment où cette région a eu le malheur d’être confrontée à un environnement écologiquement fragile. L’utilisation abusive de leurs ressources par les habitants du Croissant fertile a conduit à ce que Diamond qualifie de suicide écologique. L’Europe n’a pas été avantagée parce qu’elle faisait un usage plus vertueux de ses ressources mais parce qu’elle a bénéficié d’un milieu plus robuste. Par rapport à la Chine, l’avantage de l’Europe commence au XVe siècle, après la survenue de luttes de pouvoir en Chine.
Diamond finit par conclure sur le rôle important que pourrait jouer une poursuite scientifique de l’histoire humaine dans la connaissance de ce qui aurait façonné notre monde moderne à l’instar d’autres disciplines historiques telles que l’astronomie, la biologie évolutive ou la climatologie. Il reconnait la difficulté que cela implique de traiter des questions humaines lorsque les variables individuelles sont importantes et les difficultés méthodologiques que cela induirait. Il donne des éléments pour comprendre les inégalités entre sociétés, mais les lecteurs peuvent également y percevoir une introduction aux facteurs affectant la survie même des sociétés du fait de collisions avec d’autres peuples, mais également de leur propre fait. Ces derniers éléments sont abordés plus en détail dans deux autres ouvrages The Third Chimpanzee: The Evolution and Future of the Human Animal (1991) et Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed (2005) qui forment avec le présent essai un triptyque.
Edith Kouakou, Doctorante, Risque, assurance et carbone : une application à l’agriculture.
[1] Diamond, J. (2017, 20th anniversary edition), Guns, Germs and steel. The Fates of Human Societies, Ed. W. W. Norton & Company, pp 528.