Mireille Chiroleu-Assouline est une économiste française spécialisée dans les questions environnementales et énergétiques. Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École d’Économie de Paris (PSE), elle est reconnue pour ses recherches sur les politiques publiques environnementales, la fiscalité écologique et les impacts économiques de la transition énergétique.
Dans son ouvrage L’Emploi et la Transition Énergétique [i], Mireille Chiroleu-Assouline examine les relations complexes entre la transition énergétique nécessaire et ses conséquences sur l’emploi, offrant une analyse éclairante des défis et opportunités de cette transformation majeure.
Pour amorcer son analyse, l’autrice examine un prérequis fondamental de la transition énergétique : l’internalisation des coûts environnementaux. Ce processus, mis en œuvre par des instruments tels qu’une taxe carbone ou un marché des quotas d’émissions de dioxyde de carbone (option choisie par l’Union Européenne (UE)), vise à refléter le véritable coût de la pollution dans les prix de l’énergie. La mise en place de ces mécanismes devrait se traduire par une hausse du coût de l’énergie créant des incitations pour l’appareil productif, dans le but d’atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Dans ce cadre, l’autrice met en évidence un mécanisme essentiel lié aux dynamiques de production : la substituabilité des facteurs de production. Les entreprises, confrontées à une hausse des coûts énergétiques, sont incitées à améliorer leur efficience énergétique ou à substituer l’énergie par du travail. La littérature scientifique tend à confirmer ce mécanisme de substituabilité pour des secteurs industriels tels que la métallurgie, le papier ou les équipements de transport. En pratique, l’augmentation des coûts de l’énergie en France a principalement conduit à des gains d’efficience énergétique par des améliorations incrémentales, plutôt qu’à une réallocation massive de l’emploi. Pour les entreprises exposées à la concurrence internationale, l’asymétrie des régulations environnementales entre l’UE et d’autres régions du monde pourrait provoquer une perte de compétitivité. Dans ce contexte, le risque de délocalisation vers des pays aux normes environnementales moins strictes, souvent qualifié de « havres de pollution », est évoqué. Là encore, la littérature atténue ces inquiétudes en soulignant que l’« hypothèse de Porter »[1][2] semble se confirmer. Selon cette dernière, les contraintes environnementales, telles que la taxe carbone ou le SEQE-UE, favorisent l’innovation et préservent ainsi la compétitivité des entreprises. Ainsi, l’internalisation des coûts environnementaux est présentée comme un levier essentiel pour concilier compétitivité économique et transition énergétique. Portons tout de même un regard critique sur cette conclusion : la plupart des études utilisées disponibles ont été réalisées avant que prix carbone n’atteignent des niveaux suffisant pour entrainer des changements profonds. Cette dynamique peut limiter la portée des résultats de ces études et, par extension, une partie de l’analyse[3].
Dans un deuxième temps, l’autrice analyse l’effet net de la transition énergétique sur l’emploi dans le secteur de l’énergie. Si le développement des énergies renouvelables crée de nouveaux emplois, les acteurs des énergies fossiles subissent des pertes. Les énergies renouvelables étant plus intensives en main-d’œuvre que les énergies fossiles, un effet net positif sur l’emploi est attendu à court et moyen termes lors de l’installation des infrastructures. La demande en électricité devrait augmenter avec l’électrification de secteurs jusqu’alors dépendants des énergies fossiles, tels que l’automobile et certains processus industriels comme la production d’acier recyclé ou d’hydrogène par électrolyse. Cependant, l’autrice souligne la nécessité de faire évoluer les compétences et de garantir une qualité comparable entre les emplois des énergies renouvelables et ceux des énergies fossiles. Des politiques d’accompagnement, notamment par la formation, sont indispensables pour faciliter cette transition.
L’ouvrage étend ensuite son analyse à l’ensemble de l’économie. Les secteurs émergents qui « verdissent l’économie » – agriculture biologique, économie circulaire, rénovation énergétique, transports propres, économie du partage, éco-activités et numérique – sont définis et leurs impacts sur l’emploi sont discutés. Par la suite, la définition, les variations en nombre et l’intensité des emplois verts et verdissants sont habilement discutées. L’approche par les tâches est employée. Celle-ci se fonde sur le nombre de tâches vertes réalisées par rapport au nombre total de tâche réalisée par un métier, et se démarque car elle peut être exprimée en intensité et non pas en terme absolu, évitant d’avoir deux catégories binaires “vert” ou “non-vert”. Une fois estimée, la littérature identifie 3 catégories de professions vertes : les professions existantes, en transition, et les nouvelles professions. Une mesure claire et complète est primordiale pour comprendre les dynamiques de transformation du marché du travail face aux exigences de la transition écologique – chacune de ces catégories nécessitant des mesures particulières et adaptées.
Par une approche macroéconomique, le chapitre suivant présente les études s’intéressant aux effets agrégés de la transition sur l’emploi. Les études économétriques (rétrospectives) montrent que les secteurs énergivores et exposés à la concurrence internationale sont les plus vulnérables aux changements dus à la transition. Du côté de l’emploi, les travailleurs manuels semblent plus touchés que ceux disposant de compétences techniques. Ces effets demeurent néanmoins transitoires, car la main-d’œuvre devrait se réallouer progressivement vers les entreprises « survivantes », ce qui entraîne un impact neutre ou légèrement positif à long terme. Cependant, l’autrice met en lumière que les gains et pertes liés à la transition ne touchent pas nécessairement les mêmes acteurs. Les États, les régions et les entreprises peuvent être affectés de manière inégale. En effet, les rigidités du marché du travail, telles que les contraintes géographiques, la qualité des emplois ou les écarts de compétences peuvent freiner la réallocation optimale des travailleurs. Ces facteurs risquent donc d’accentuer les disparités entre les différents acteurs et zones concernées, un point d’attention particulier lors de la mise en place de politique publique.
Enfin, le dernier chapitre élabore le concept de « transition juste », qui vise à concilier objectifs environnementaux et justice sociale. Un point essentiel pour y parvenir est la redistribution des recettes liées à la politique environnementales choisie, notamment pour réduire les charges sociales du travail. On obtient alors un “double dividende” grâce à la baisse simultanée des émissions et du coût du travail pour les entreprises, générant de l’emploi. Pour aller encore plus loin, Mireille Chiroleu-Assouline propose une diminution ciblée des charges sociales vers les secteurs riches en emplois verts, tels que les énergies renouvelables et la rénovation énergétique[4].
En conclusion, Mireille Chiroleu-Assouline signe un ouvrage essentiel pour comprendre les interactions entre l’emploi et la transition énergétique. Il ouvre des perspectives stimulantes tout en appelant à une prise de conscience des enjeux globaux. Bien qu’il laisse des questions ouvertes, ce travail reste une référence pour les chercheurs et décideurs désireux de façonner une transition juste et durable en matière d’emploi.
[i] Chiroleu-Assouline,M., L’Emploi et la Transition Énergétique, Ed. Les Presses de Sciences Po, Février 2024, pp.136.
Sylvain Belrose, doctorant CEC.
[1] Martin, Ralf, Mirabelle Muûls, Laure B. de Preux, and Ulrich J. Wagner. 2014. « Industry Compensation under Relocation Risk: A Firm-Level Analysis of the EU Emissions Trading Scheme. » American Economic Review, 104 (8): 2482–2508.
[2] Martin, R., Muûls, M., Wagner, U. J. (2016). The impact of the European Union Emissions Trading Scheme on regulated firms: what is the evidence after ten years? Review of Environmental Economics and Policy, v. 10, n. 1, pp. 129 148.
[3] Le rapport sur la compétitivité de l’UE de 2024 ou rapport Draghi mentionne l’allocation de quotas gratuite ainsi que le niveau limité du prix du CO2 comme principales raisons du faible effet du SEQE-UE sur le niveau des émissions des industries les plus émettrices (p. 99). Ces deux politiques ayant étaient justifiées par les risques de perte de compétitivité de ces industries (https://commission.europa.eu/topics/strengthening-european-competitiveness/eu-competitiveness-looking-ahead_en#paragraph_47059).
[4] Ici encore, les résultats de certaines analyses pourraient être mitigées par une plus grande prise en compte de la compétition internationale, notamment à travers le rôle joué par la Chine et son développement industriel dans les secteurs utiles à la transition