Anaïs Voy-Gillis est docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique. Ses recherches portent sur l’industrie et les enjeux de la réindustrialisation de la France, ainsi que sur la montée des nationalismes en Europe. Elle est actuellement Directrice Stratégie & RSE au sein du groupe Humens et chercheuse associée à l’IAE de Poitiers.
Dans son troisième ouvrage, Pour une Révolution Industrielle [i], Anaïs Voy-Gillis s’attaque à la question historique de la désindustrialisation française, en en analysant les causes et en proposant des solutions. Son objectif est double : retracer les événements ayant conduit à la situation actuelle et ouvrir des pistes de réflexion pour y remédier. Dans les premières parties, l’autrice s’appuie sur des références philosophiques et théoriques pour poser les bases de sa réflexion. Elle commence par interroger la définition même du mot industrie, un terme en apparence évident mais qui recèle de nombreuses interprétations et nuances. Cette approche amène le lecteur à réfléchir à la perception qu’il en a et à ses implications dans le débat sur la réindustrialisation.
Un constat : l’industrie française en déclin
L’ouvrage rappelle la réalité chiffrée de la désindustrialisation française. En quelques décennies, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 19 % à 10 %. Par ailleurs, la productivité du secteur s’est affaissée : malgré une augmentation des emplois industriels ces vingt dernières années, la valeur ajoutée des biens manufacturés stagne. Ce constat illustre la perte de compétitivité du tissu industriel français. Pour nous aider à le comprendre, l’autrice revient alors sur l’histoire industrielle de la France. Bien que celle-ci est été un grand pays industriel, l’une des pionnières de la révolution industrielle ayant démontré de grandes capacités d’innovation au XXème siècle (Airbus, TGV…), son déclassement est clair. Anaïs Voy-Gillis l’analyse comme le résultat de la montée de la doctrine d’économie libérale – ainsi que la suite logique d’un choix politique malheureusement assumé : le modèle fabless. Alors persuadés que la France peut se maintenir compétitive en se concentrant sur les secteurs à fortes valeur ajoutée, en fin de chaine de valeur, les dirigeants poussent à la désindustrialisation et dévalorisent le travail manuel. Arriva donc ce qu’il devait arriver : la France n’est désormais plus une grande nation industrielle. L’autrice dénonce également les mauvaises pratiques du gouvernement, qui ne semble pas capable de prendre les mesures fortes dont l’industrie française aurait besoin. Elle y vise notamment l’efficacité des politiques publiques (point d’étude important des économistes de la Chaire) et ses conditionnalité. Elle illustre son propos avec l’exemple des subventions allouées au secteur automobile pendant la crise de la COVID. Malgré des milliards d’euros d’argent public investis, ces aides n’ont pas empêché la fermeture de sites industriels ni la suppression de dizaines de milliers d’emplois directs et indirects.
Réindustrialiser : au-delà des aides financières, un projet politique
Après avoir dressé le portrait sanglant d’une industrie française en perdition, Anaïs Voy-Gillis en vient donc à ses propositions. La base de sa réflexion est de souligner que de simples mesures techniques, visant à financer ou subventionner l’industrie, seront nécessaires mais insuffisantes. La clé, selon elle, réside dans la construction d’un véritable récit national autour de l’industrie, qui fédérerait les citoyens et insufflerait une dynamique de long terme. Elle insiste sur l’importance d’une vision politique forte : « La volonté de réindustrialiser est une bonne chose, mais sa pérennité repose sur le narratif du pourquoi on le fait. » L’autrice nous propose ensuite certaines de ses recommandations. On y retrouve alors un appel au courage politique pour une économie résiliente : relocalisation des activités au service de la souveraineté, maintient et développement des industries existante, et concentration de l’effort sur certains secteurs cibles [1] . Cela passerait surement par des aides d’Etat, mais également par une meilleure collaboration entre industriels (politiques de recrutement communes), du co-investissement, et l’utilisation de la commande publique comme levier d’action. Elle souligne également que l’augmentation des prix liés à la relocalisation entrainera de nombreux bénéfices de long terme tels que la stabilité économique, une diminution du chômage, et la cohérence avec son récit.
Réindustrialisation et environnement : un défi commun
Dans la dernière partie de son essai, Anaïs Voy-Gillis intègre une réflexion sur les enjeux environnementaux. Si les émissions directes de la France ont baissé ces dernières décennies, son empreinte carbone globale a augmenté sous l’effet des délocalisations et des importations. Elle plaide donc pour une réindustrialisation alignée avec la transition écologique, tirant parti du mix énergétique décarboné français pour réduire l’impact environnemental de la production. Pour elle, industrie et écologie ne sont pas antinomiques : au contraire, elles doivent avancer ensemble. Elle insiste également sur l’importance de la préservation du vivant, primordiale pour la pérennité de notre système et son équilibre.
Avec Pour une Révolution Industrielle, Anaïs Voy-Gillis propose une analyse sans concession de la situation industrielle française. Son ouvrage, à la fois rigoureux et engagé, met en lumière les erreurs stratégiques des dernières décennies tout en esquissant des solutions concrètes. S’appuyant sur ses recherches et sa connaissance du secteur, elle dépasse le simple constat pour offrir une vision politique et économique ambitieuse, fondée sur un récit national fédérateur. Un projet qui, selon elle, permettrait de réconcilier développement industriel, enjeux sociaux et transition écologique.
Jules Welgryn, doctorant CEC.
[i] Voy-Gillis, A., Pour une Révolution Industrielle, Ed. Presses De La Cite, Janvier 2025, pp.288.
[1] Thinkerview : « La France en perdition : Pourquoi et à quoi s’attendre ? Anaïs Voy-Gillis et Maroun Eddé », Janvier 2025