Club de lecture

La Chaire a lu pour vous Plastique, le grand emballement de Nathalie Gontard avec Hélène Seingier

Publié le 24 janvier 2023

Dans Plastique, le grand emballement [1], Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’INRAE et experte en sciences des emballages, retrace l’histoire du plastique pour expliquer l’engouement qu’il suscite depuis sa création, les inquiétudes liées à sa pollution, et la complexité du problème de sa fin de vie.

Le plastique apparaît dans les années 1960 suite à la découverte de la polymérisation. Ce processus permet de créer de nouveaux matériaux aux propriétés fantastiques : léger, transparent ou coloré, résistant, imperméable, peu coûteux, le plastique se modèle parfaitement aux besoins de l’industrie, notamment celles des emballages. Il est également très adapté au commerce international, car il ne craint ni l’humidité, ni les variations de température, ni les chocs. De multiples molécules sont créées, les plus répandues étant le polyéthylène et le polypropylène. Le plastique devient synonyme de progrès technologique et de développement économique, et chasse les matériaux traditionnels.

Ses effets néfastes sur l’environnement et la santé sont alors ignorés. Ils sont pourtant majeurs. Ce matériau synthétique est si étranger au fonctionnement biologique de notre environnement qu’il lui faut plusieurs siècles pour être digéré par les microorganismes et réintégrer le cycle du carbone. Il se décompose ainsi lentement en minuscules particules qui se répandent dans tous les milieux, peuvent pénétrer en profondeur un organisme et interagir avec des molécules de toutes sortes. La pollution plastique va ainsi des profondeurs des océans aux gouttes de pluie, en passant par nos propres corps.

Les vertus des polymères sont remises en question pour la première fois dans les années 1990-2000. Une succession de crises sanitaires fait prendre conscience des dangers du plastique. On découvre que les additifs, des molécules ajoutées aux polymères pour leur donner certaines propriétés, contaminent facilement les substances avec lesquelles ils sont en contact et créent des risques pour la santé. Cas emblématique de cette période, le bisphénol A, perturbateur endocrinien très utilisé dans les biberons, boîtes de conserve et tickets de caisse, est interdit en France en 2012.

En parallèle de ces crises, la pollution plastique émerge lentement comme un nouveau problème. La recherche s’attaque à la faire disparaître. Des plastiques « oxodégradables » sont inventés, capables de se décomposer très rapidement en fragments minuscules sous l’effet de la lumière et d’autres phénomènes naturels. Leur devenir n’est pas étudié, on ne se soucie pas encore de la biodégradabilité du plastique. Depuis la crise pétrolière des années 1970, l’industrie et les politiques s’inquiètent avant tout de manquer de ce matériau devenu indispensable. Les novateurs plastiques « bio-sourcés » attirent toute l’attention. Peu importe qu’ils soient aussi persistants dans l’environnement que leurs cousins pétro-sourcés, on se félicite de donner des propriétés similaires. Quelques années plus tard, la découverte des nanoparticules relance l’engouement pour ce matériau en perpétuelle évolution. Les plastiques augmentés se répandent dans tous les domaines, allégeant le poids des avions, renforçant les carrosseries des voitures, ou freinant le développement de bactéries dans les tétines de biberons.

Le recyclage du plastique débute non pas pour des raisons environnementales, mais par peur de manquer de ce matériau. L’enjeu devient de réutiliser le plastique à l’identique et de manière infinie. La technique la plus répandue est le recyclage mécanique. Elle consiste à chauffer le plastique pour que s’évaporent les molécules qui s’y sont glissées, sans modifier la structure des polymères. Il présente une limite importante : les additifs et impuretés qui se sont incrustées dans le plastique au cours de son utilisation sont difficiles à éliminer de cette manière. En conséquence, on ne peut transformer le déchet plastique qu’en une matière de moins bonne qualité que celle d’origine. Il s’agit de « décyclage » plutôt que de recyclage. Seule exception, le « PET » constituant les bouteilles plastiques, qui peut être recyclé une seule fois sans perdre son aptitude au contact alimentaire si l’on y ajoute du PET vierge. Certaines technologies de pointe permettent de recycler infiniment une large gamme de polymères, mais leur intérêt environnemental reste à établir et elles sont trop immatures pour être déployées à grande échelle.

Le recyclage s’est ainsi ajouté aux deux autres modes de traitement des déchets plastique : l’enfouissement et la valorisation énergétique. Aucun n’est satisfaisant. La mise en décharge n’exploite pas la valeur énergétique ou économique des déchets et génère une importante pollution environnementale: les déchets et les grandes bâches plastiques dans lesquelles ils sont enterrées se décomposent au fil du temps et contaminent les sols. La valorisation énergétique consiste soit à incinérer les déchets, avec un résidu à enfouir à son tour, soit à les transformer en combustible grâce à la pyrolyse. Dans les deux cas, la combustion génère des émissions toxiques et libère du CO2. 

L’Europe et la France visent ainsi un « 100% de recyclage » d’ici 2025. Cet objectif semble ambitieux compte tenu de la situation actuelle en France : environ 30% des plastiques sont enfouis, 46% sont incinérés, 14% sont collectés pour être recyclés. C’est de plus un objectif incohérent étant donné les limites du recyclage. Sur le total des les plastiques collectés, 4% sont perdus en cours de route, 8% sont décyclés et quelques pourcents sont effectivement recyclés. Il s’agit principalement de bouteilles de PET, qui représentent moins de 2% des plastiques que nous consommons. Une partie importante des déchets collectés sont envoyés dans des pays en développement, où leur sort est incertain.

Jusqu’en 2017, la Chine était le principal importateur de déchets. Ne souhaitant plus être la poubelle du monde, elle ferma ses portes cette année-là, suivie par d’autres pays asiatiques. Alors que le grand public découvrait que ses déchets finissaient souvent abandonnés à l’autre bout du monde, 

industriels et politiques durent trouver en urgence des débouchés. De nouvelles stratégies industrielles et marketing furent mises au point : les produits contenant du plastique « recyclé » sont désormais présentés comme « écolos » ; la faible empreinte carbone du plastique est mise en avant, passant sous silence ses autres impacts environnementaux. L’idée d’une « neutralité plastique » a même émergé dans le débat. Les entreprises pourraient continuer à utiliser du plastique vierge en fonction de leur financement du recyclage, à l’instar du marché carbone. Nathalie Gontard rappelle pourtant que le recyclage ne permet ni d’éliminer les déchets plastiques, ni de se passer des plastiques vierges. Autre opportunité marketing, les logos « bio » des plastiques biosourcés, vantant leur origine naturelle mais ignorant leur manque de biodégradabilité.

Nathalie Gontard critique ainsi notre esprit « plastifié ». Persuadés que les polymères nous sont indispensables, nous n’envisageons la solution qu’à travers les innovations du monde du plastique. A l’encontre des politiques européennes et françaises, qui misent toute leur stratégie environnementale sur le recyclage, elle préconise de traiter le problème à la source : réduire notre surconsommation de plastique. Recycler fait partie de la solution mais ne peut nous épargner un profond changement de nos modes de consommation et de production.

Lise Peragin, Doctorante, Matières premières recyclées: Quels traitements, quels usages? Impacts sur les ressources et le bilan carbone.

Gontart, Nathalie avec Seingier, Hélène (2020), Plastique, le grand emballement [1] Edition Stock, 220pp.