Club de lecture

La Chaire a lu pour vous Repenser la pauvreté de Abhijit Banerjee et Esther Duflo

Publié le 23 novembre 2021

Repenser la pauvreté [1], ouvrage d’Abhijit Banerjee et Esther Duflo est le fruit de plusieurs années d’enquêtes terrain dans les zones les plus reculées et pauvres du monde. Il relate le quotidien de millions de personnes en situation d’extrême pauvreté, et nous offre un éclairage sur la façon dont ces derniers gèrent leur vie économique quotidienne. En d’autres termes, qu’est-ce que c’est de vivre avec moins d’un dollar en pouvoir de parité par jour ? Ce livre apporte ou du moins propose un début de réponse à l’échec de l’aide publique au développement. En effet, ils partent du constat selon lequel qu’après plusieurs décennies d’aide publique au développement, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté reste encore très important. Plusieurs études empiriques montrent en effet qu’il n’y a pas de différence en termes de croissance économique entre les pays pauvres qui bénéficient de l’aide publique au développement et ceux qui n’en bénéficient pas. Le débat sur l’efficacité de l’aide publique, au cours des deux dernières décennies, a opposé deux camps : les optimistes et les sceptiques. Pour les optimistes, dont le chef de file est Jeffrey Sachs, pensent que les pauvres sont piégés dans la pauvreté et ont besoin d’un push pour les mettre sur la voie de la prospérité. A l’opposé, Dambisa Moyo et William Easterly soutiennent la thèse d’une aide publique plutôt fatale. Selon ces derniers, l’aide publique n’arrive non seulement pas aux pauvres mais qu’elle favorise la corruption et les conflits. Pour Banerjee et Duflo, les économistes ont longtemps traité la question de la lutte contre la pauvreté du mauvais angle et c’est ce qui expliquerait l’inefficacité de l’aide publique au développement.

Ils proposent une approche innovante mettant les pauvres au cœur du débat et à travers l’utilisation de démarches scientifiques rigoureuses (i.e. expériences aléatoires empruntées à la médecine) afin d’apporter des réponses concrètes sur des questions simples à savoir : pourquoi les pauvres allouent autant de ressources dans des dépenses futiles qui n’améliorent pas leurs conditions de vie (i.e. dépenses funèbres en Afrique du Sud, achat de DVD, d’antennes paraboles ou encore de télévision) ? Pourquoi les pauvres n’achètent-ils pas des moustiquaires imprégnées qui leur garantissent une bonne santé et donc une capacité à générer du revenu ? Pourquoi les agriculteurs pauvres n’achètent-ils pas de l’engrais alors que cela permettrait d’accroître leur rendement et donc leurs revenus ? Autant de questions qui paraissent simples à nos yeux mais dont les réponses ne semblent pas aussi évidentes que ça. Ainsi, pour ces auteurs, comprendre comment les pauvres prennent leurs décisions économiques est crucial pour lutter efficacement contre la pauvreté. Sans cette compréhension, toute intervention est vouée à l’échec.

Tout au long de la première partie du livre, les auteurs reviennent sur les facteurs qui maintiennent ces personnes dans la pauvreté, les empêchant d’en sortir. D’abord, ils analysent le lien entre la faim et la pauvreté. Ils montrent que tandis que les indigents ont généralement accès à une quantité suffisante d’aliments, l’apport nutritionnel de ces aliments reste très faible. Cette carence nutritionnelle serait non seulement une cause supplémentaire de l’affaiblissement du système immunitaire, mais elle abaisserait également leur productivité. La santé est un autre pan de l’analyse du piège de la pauvreté. Contrairement aux idées reçues, les pauvres allouent des sommes non négligeables aux dépenses de santé. Toutefois, le paradoxe est que les pauvres semblent plutôt préférer se soigner que de prévenir. Ils montrent également que les pauvres placent très peu de confiance aux services de santé publics. Ils préfèrent généralement recourir aux services des médecins (souvent sans diplôme) dans les hôpitaux privés à des tarifs très élevés. Il semble donc que les pauvres sous-estiment les bénéfices réels des soins préventifs bon marché et accordent plus d’importance au présent. Pour inverser cette tendance, il est primordial de sensibiliser les pauvres sur les bénéfices réels des solutions préventives, ce qui passe par l’éducation. En effet, les pauvres investissent très peu dans l’éducation de leurs enfants, ce qui représente un mécanisme supplémentaire de piège à pauvreté. C’est ce manque d’investissement en capital humain qui entretiendrait la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ainsi, pour briser cette chaîne de transmission, les auteurs soulignent l’importance d’offrir une éducation de base et de qualité à tous les enfants, sans exclusion aucune. Enfin, ils reviennent sur le fort taux de fécondité des femmes dans les pays pauvres et montrent que lorsqu’elles n’ont pas accès à des filets de sécurité sociale, avoir beaucoup d’enfants reste la seule alternative pour les parents, de s’assurer contre leur vieillesse. L’analyse de cette première partie met en lumière le caractère multidimensionnel de la pauvreté. La pauvreté peut se manifester sous plusieurs formes à travers un accès limité à une alimentation de qualité, une mauvaise santé et un faible développement du capital humain, etc.

Dans la deuxième partie du livre, les auteurs analysent des solutions simples qui pourraient considérablement améliorer les conditions de vie des pauvres. D’abord, ils soulignent par exemple le rôle que pourrait jouer la microfinance dans l’accompagnement des pauvres à investir dans des activités génératrices de revenus. Des études montrent par exemple que des ménages qui contractent un microcrédit sont plus susceptibles de commencer une activité génératrice de revenu. Toutefois, ils soulignent que même si la microfinance n’est pas la panacée de la pauvreté, des solutions financières adaptées aux besoins peuvent faire une grande différence. Ensuite, ils reviennent sur la nécessité d’assurer les pauvres. En effet, ces derniers sont exposés à plusieurs aléas. Ainsi, des problèmes de santé ou encore une mauvaise récolte due à une baisse de la pluviométrie peuvent enfoncer encore davantage les personnes dans le piège de la pauvreté. Il revient donc aux gouvernements de mettre en place des incitations ou encore des subventions nécessaires pour amener les pauvres à s’assurer. Enfin, selon Banerjee et Duflo, pour lutter efficacement contre la pauvreté, il est impératif d’entreprendre des réformes institutionnelles majeures. Parallèlement à ces réformes, les auteurs soulignent que des actions à l’échelle locale peuvent avoir des résultats probants.

Sommes toutes, ce livre nous enseigne que la pauvreté est très complexe et qu’il n’y a pas de solution magique à ce problème. Néanmoins, comprendre comment les pauvres prennent leurs décisions économiques est un premier pas vers la recherche de solutions effectives.

Mamadou Saliou Barry doctorant Essais sur l’Accès à l’électricité en Afrique Sub-Saharienne.

[1] Abhijit Banerjee et Esther Duflo, « Repenser la pauvreté », Ed. SEUIL, Les livres du nouveau monde, 2012. 432p.