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Interview de Raphaël Trotignon pour Les Echos par Muryel Jacque

Publié le 22 janvier 2019

Entretien réalisé par Muryel JACQUE pour Les Echos (édition du 15 janvier 2019) 

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Réformé, le mécanisme européen d’échange de quotas de CO devrait mieux fonctionner, estime Raphaël Trotignon, chercheur en économie de l’énergie et du climat au sein de la Chaire Economie du climat de l’université Paris-Dauphine. Mais sa gouvernance reste faible.

Que va entraîner cette renaissance du marché du carbone ?

La réforme mise en œuvre redonne une place à ce marché qui était moribond. Il peut redevenir un outil important de l’ambition climatique de l’Union européenne, car il sert à faire baisser les émissions de CO2 des installations industrielles. Une hausse suffisante du prix du carbone encourage les entreprises concernées à réduire leurs émissions en améliorant leur processus de production ou en développant des technologies ‘bas carbone’. Cette hausse du prix du carbone attire aussi les investisseurs, les fonds de pension, qui sont de retour sur le marché.

Quelles sont les limites du marché ?

Il faut lever un tabou : il faudrait revoir la gouvernance. Aujourd’hui, le système n’est pas réactif. La réserve de stabilité qui a été créée avec la réforme du marché pour absorber les surplus de quotas de CO2 est une bonne chose, mais elle agit avec deux ans de décalage et de façon ‘robotique’. Il faudrait une banque centrale du carbone pour gérer le marché, pour assurer la transparence et la crédibilité sur la rareté des quotas distribués. Pour un économiste, le marché du carbone ressemble à la politique monétaire ! Le problème est que les traités actuels de l’UE ne permettent pas de mettre en place une autorité indépendante de ce type.

On n’est donc pas à l’abri d’une rechute des prix à l’avenir…

C’est exact. Le marché repose sur de la crédibilité politique. Il n’y a pas, comme pour le pétrole ou le blé, de stocks physiques.

Y a-t-il un prix « idéal » du carbone ?

Non. Les entreprises couvertes doivent comparer le coût de réduction de leurs émissions au prix du quota de CO2 sur le marché. Plus le prix du quota grimpe, plus elles sont incitées à mettre en oeuvre les réductions dont le coût est inférieur. Ainsi, le prix qui favorise le passage du charbon au gaz dans l’électricité est estimé à 30 euros, car il deviendrait alors plus cher de produire à partir du charbon, celui-ci étant plus ‘carboné’ que le gaz. Ensuite, il faut monter beaucoup plus haut pour rentabiliser les procédés de capture et séquestration du carbone, des moyens qui permettent de capturer le CO2 dans les fumées et de le stocker. Pour cela, le prix doit atteindre 70 à 100 euros la tonne.

Les industriels ne risquent-ils pas d’exporter leur pollution si les prix grimpent trop ?

C’est pour cela que l’UE essaie de trouver des compensations pour ceux qui sont exposés à la concurrence internationale. Ce problème n’existe pas avec l’électricité : on peut faire monter les prix sans risque de concurrence déloyale. Mais pour le ciment, l’acier, le verre… les industriels disent qu’ils pourraient aller produire ailleurs, par exemple au Maghreb ou en Turquie. Les allocations gratuites de quotas donnés par les Etats membres de l’UE, qui agissent comme des subventions, ont permis jusqu’à présent de prévenir ce phénomène. Elles ont même, dans certains cas, été très favorables aux industries dont les émissions avaient baissé suite à la crise économique de 2008.

Une bourse du carbone régionale ne résoudra pas un problème de pollution mondial…

Evidemment. Mais, avec la création de ce marché, le but de l’UE était d’inspirer et de convaincre d’autres. C’est en partie un succès, la plupart des pays ou régions où un mécanisme d’échanges de quotas d’émissions a été mis en place ont regardé l’Europe pour désigner leur propre système. Le monde progresse vers plus de marchés et plus de tarification du carbone. Mais nous n’allons pas vers un marché mondial interconnecté. Cela relève du fantasme. Et vous constatez que ce n’est le cas pour aucune matière première. Après, l’existence de différents marchés va dans le bon sens, car cela a le mérite de créer du partage d’informations et de bonnes pratiques, ainsi que l’émergence de nouvelles technologies bénéfiques à tous.