Interviews

3 questions à Jacques Percebois

Publié le 19 septembre 2017

L’ouvrage Transition(s) Electriques(s) de Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois, présente une fresque historique de l’Europe de l’électricité.

Sans la moindre nostalgie de l’ère des monopoles, les errements des thuriféraires du marché y sont critiqués. Les spécificités du secteur électrique rendent complexe l’articulation entre interventionnisme public et fonctionnement du marché. Une analyse décapante, qui éclaire les conditions de réussite de la transition bas carbone.

3 questions à Jacques Percebois, Directeur Scientifique de la Chaire Économie du Climat :

Pourquoi marché et interventionnisme public font-ils si mauvais ménage dans le secteur électrique ?

L’électricité est à la fois une marchandise stratégique et un service public. Une partie de la chaîne électrique peut parfaitement être laissée au marché donc à la concurrence (c’est le cas de la production et de la fourniture de kwh) mais le reste (le transport et la distribution) sont des monopoles « naturels ». Dupliquer des réseaux en parallèle serait coûteux. De plus, les investissements électriques, au niveau des centrales comme des réseaux, doivent être programmés longtemps à l’avance et ils ont une durée de vie longue. Il faut donc des garanties sur leur rentabilité à long terme. Tout cela explique que l’on peut juxtaposer les incitations du marché et l’interventionnisme public. Mais la libéralisation impulsée il y a 20 ans en Europe a un peu mélangé les règles du jeu et l’équilibre entre marché et intervention de l’Etat n’est pas le bon. On a trop attendu du marché et on a en même temps perturbé le fonctionnement du marché. Les prix de marché de court terme n’envoient pas les bons signaux aux investisseurs et les interventions intempestives de l’Etat sous forme de prix bloqués ou de subventions excessives a faussé la règle du jeu. Du coup le bilan est en demi-teinte.

Le déploiement des renouvelables et de la digitalisation va-t-il changer la donne ?

Le développement massif des renouvelables (éolien mais surtout photovoltaïque) ne va pas seulement impacter la structure de la production d’électricité ; il va aussi modifier fondamentalement la structure de la chaîne de valeur. Le développement de l’autoproduction et de l’autoconsommation individuelle et collective (via des blockchains) va permettre l’apparition de petits réseaux de distribution à l’échelle locale et ces réseaux pourront même être fermés, donc sans interconnexion avec le réseau national. Cela pose la question du devenir des grandes « Utilities » (EDF, Engie, Eon, etc…) et des gestionnaires de réseaux (RTE, Enedis…). La révolution digitale va de plus permettre une meilleure gestion de la demande au niveau de l’appel de puissance chez le consommateur final (optimisation de l’effacement par exemple). La grande révolution c’est le couplage de ces énergies renouvelables dont le coût unitaire baisse avec un stockage de plus en plus performant. Cela devrait inciter les opérateurs du numérique (GAFA pour Google, Amazon, Facebook, Apple) a s’intéresser de plus en plus aux services liés à l’électricité chez le consommateur final.

Votre engagement à la Chaire Economie du Climat a-t-il influencé votre diagnostic sur le futur du secteur électrique ?

Les travaux de la Chaire sont très largement menés autour des politiques liées au changement climatique  et, en particulier, à l’impact des émissions de carbone. Le rôle croissant que va jouer le prix du CO2 dans les choix énergétiques aura évidemment un impact sur la filière électrique, la production de kwh mais pas seulement. Ce sera vrai au niveau des réseaux comme du consommateur final. On va vers une électricité de plus en plus « décarbonée, décentralisée et digitalisée ». L’internalisation du coût du carbone sous forme d’un prix du CO2 ou d’une taxe va modifier fondamentalement le mix électrique en pénalisant le charbon mais aussi les hydrocarbures (gaz et pétrole). Rappelons qu’à l’échelle mondiale l’électricité est produite à 40% avec du charbon ce qui explique que l’électricité soit responsable de 40% des émissions de CO2 . Un avenir sans charbon passe par un prix élevé donné aux émissions de CO2.