Dans la littérature économique, on fait souvent référence à “la malédiction des ressources naturelles”. Elle désigne une situation ou un pays riche en ressources naturelles se trouve piégé dans le cercle vicieux de sous-développement. Dans beaucoup de ces pays, l’absence de services publics et la capture de la rente par l’élite sont à l’origine de plusieurs conflits armés dont l’ultime but est le contrôle de la ressource. C’est pourquoi la question de la malédiction des ressources naturelles dans les pays en développement reste une question d’actualité et suscite beaucoup d’intérêt à la fois des acteurs du développement international et du monde académique.
L’ouvrage Richesses de la nature et pauvreté des nations Essai sur la malédiction de la rente minière et pétrolière en Afrique[1] aborde tous les problèmes inhérents aux secteurs extractifs dans les pays en développement. Les auteurs (Jamal Azizi, Pierre-Noël Giraud, Timothée Ollivier et Paul-Hervé Tamokoue Kamga) commencent par définir les concepts clés, par exemple la rente qui n’est rien d’autre que la différence entre le prix de marché d’une matière première et le coût de son extraction. Cette rente est dite ricardienne car elle est intrinsèquement liée aux qualités respectives des gisements. Ensuite, la sulfureuse question du partage de la rente entre les multinationales et les gouvernements locaux est analysée en montrant les avantages et les limites des différents régimes de partage de la rente.
Les auteurs montrent en effet, que l’asymétrie d’information entre les multinationales et les gouvernements, conjuguée au faible niveau de qualification du personnel administratif, conduit très souvent à la signature de contrat inégalitaire. Ces contrats restent généralement très défavorables au pays producteur.
L’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) et le processus de Kimberley, visant respectivement à promouvoir la transparence dans les industries extractives et la non commercialisation des diamants dits de “diamants de sang”, sont analysés dans l’ouvrage. De plus, les auteurs proposent un diagnostic pertinent des différents usages faits des rentes par les gouvernements et posent par ailleurs, la question de l’équité intergénérationnel dans le partage de la rente.
En outre, les auteurs procèdent à une taxonomie des Etats rentiers. Ils distinguent trois catégories. Les “États rentiers vertueux” dans lesquels, la rente est utilisée pour maintenir les revenus des générations futures à un niveau plus élevé (investissement dans le capital humain, diversification de l’économie). Dans les “États rentiers stables”, les pouvoirs publics s’assurent de la circulation de la rente dans la société de telle sorte que la quasi-totalité de la population soit satisfaite afin de garantir une certaine stabilité politico-sociale. Enfin, “l’État rentier en décomposition” est symptomatique de la malédiction des ressources naturelles. Ces États se trouvent dans une dynamique auto-entretenue de la trappe à pauvreté.
Par ailleurs, avant de procéder à l’analyse économétrique de la malédiction des ressources naturelles dans les pays en développement, un état des lieux des travaux théoriques et empiriques depuis le papier séminal de Sachs et Warner (1995) est proposé. En ce qui concerne l’analyse empirique, les estimations montrent que les pays fortement dépendants en ressources naturelles ont un secteur agricole caractérisé par un manque criard de d’investissement. C’est d’ailleurs, ce qui explique la forte dépendance de ces pays à l’importation pour satisfaire leurs demandes en produits alimentaires.
Les auteurs se focalisent sur des études de cas de certains pays africains sur lesquels des données sur la fiscalité minière existe. La leçon qu’on peut retenir de cette analyse est qu’il existe une variante de régimes fiscaux et que la rente revenant au pays producteur dépend intrinsèquement du cadre fiscal en vigueur.
Enfin, cet ouvrage collectif se distingue des autres ouvrages traitant de la malédiction des ressources naturelles de deux façons : d’abord l’ouvrage est rédigé de tel sorte qu’il soit accessible à des lecteurs non spécialistes ; ensuite, les études de cas apportent d’enrichissantes informations sur la complexité des régimes de partage de la rente entre les opérateurs et les gouvernements.
Mamadou Saliou Barry, Doctorant « Essais sur l’Accès à l’électricité en Afrique Sub-Saharienne »
[1] Presses des mines, Paris, 2016, 250 pages, 29€.