Algues vertes – l’histoire interdite (1) est une bande dessinée qui relate une enquête de terrain sur la gestion politique d’une pollution environnementale majeure en Bretagne : les marées vertes. A la fin des années 2000, un médecin urgentiste de l’hôpital de Lannion, Pierre Philippe, s’interroge sur plusieurs cas de décès ou d’empoisonnement soudain qui surviennent à proximité de plages du littoral breton. C’est à travers son questionnement et son cheminement dans sa quête d’explications que le lecteur est introduit au problème de pollution causé par ulva rigida.
Les algues vertes s’accumulent dans différents estuaires bretons. En se décomposant, elles libèrent un gaz toxique à l’odeur putride ; l’hydrogène sulfuré (H2S). En séchant les algues se confondent avec le sable et des promeneurs s’y embourbent. Les quantités d’H2S sont parfois telles que le gaz paralyse les systèmes nerveux et respiratoire des personnes ou animaux piégés et conduit, dans certains cas, à la mort. Cette prolifération d’algues trouve son origine dans l’eutrophisation des cours d’eau, elle-même lié à un excédent d’azote sur le territoire breton, lui-même lié à l’agriculture intensive. C’est bien là que se trouve le nœud du problème ; une industrie polluante mais extrêmement bien structurée empêche (ou retarde) la mise en place d’action visant à protéger les plages bretonnes des marées vertes.
La bande dessinée permet d’identifier les différents acteurs de ce problème de gestion environnementale. D’un côté les associations écologistes, représentées par André Ollivro, le médecin Pierre Philippe ou encore certains maires qui ont compris la dangerosité des algues vertes. Ils se battent pour obtenir des preuves de la culpabilité de l’hydrogène sulfuré dans le décès de personnes ou animaux ayant été en contact avec les algues vertes en demandant autopsies et autres analyses de sang. De l’autre côté les dirigeants des grosses coopératives agricoles bretonnes, des agriculteurs souvent endettés et agacés par leur stigmatisation mais aussi des maires effrayés par l’impact d’un tel scandale sur le tourisme.
Ce livre synthétise une enquête bien documentée et agréablement illustrée. Il permet de comprendre les forces en présence ainsi que les méthodes qui sont à leur disposition. Les méthodes utilisées par les défenseurs du modèle agricole intensif breton ne vont d’ailleurs pas sans rappeler celles auxquelles ont recours les industries du secteur fossile dans le cadre du réchauffement climatique ; recrutement de scientifiques dissidents, fabrique du doute, négation du lien entre agriculture intensive et pollution aux algues vertes…
Maxime Ollier, doctorant « Effets du changement climatique sur les inégalités de revenus des agriculteurs »
(1) Scénariste Inès Léraud, Illustrateur Pierre Van Hove, Coloriste Mathilda, Algues vertes – l’histoire interdite, 2019, Editions Delcourt