Issu de sa thèse de doctorat, cet ouvrage d’Alice Valiergue, Compensation carbone. La fabrique d’un marché contesté [1] propose une enquête sociologique sur la formation et le développement du marché de la compensation carbone volontaire. L’auteure suggère que l’extension du domaine de ce marché s’est opérée par la fabrique de mesures physiques et/ou monétaires et par la construction de justifications morales. Par rapport à la littérature existante sur la compensation carbone, ce travail se distingue par son ancrage dans le terrain, aussi bien situé dans des forêts africaines que dans des bureaux d’entreprises européennes.
Ce n’est pas la généalogie du marché volontaire de la compensation qui est originale dans ce livre, puisqu’elle répète le rôle des institutions onusiennes, l’influence de la science économique ainsi que les stratégies de récupération du Protocole de Kyoto par les premiers opérateurs. Toutefois, l’attention sociologique accordée à la description détaillée des opération de calcul d’un crédit carbone est particulièrement novatrice et appréciable.
D’un point de vue analytique, l’auteure donne à voir différents processus dans la fabrique de ce marché. Tout d’abord, elle suggère que la compensation permet de singulariser une offre militante destinée à des clients particuliers. Aussi, elle montre les étapes de la construction de la légitimité du produit, soit la qualité du projet de compensation, et du vendeur, soit la fiabilité de l’opérateur dans la réalisation du projet. Par ailleurs, la concurrence féroce sur le marché volontaire entre les entreprises et les ONG les a amenées à poursuivre des stratégies d’intégration verticale. En fait, les entreprises essaient de se transformer en acteurs de terrain, tandis que les ONG essaient de rentabiliser leurs activités militantes. Jusqu’à présent, les controverses dues à l’opportunisme de certains opérateurs ont néanmoins pourvu les ONG d’un avantage réputationnel. Enfin, l’essor du marché des services associés à la compensation est étudié au travers de trois phénomènes : (i) la création de nouveaux marchés relatifs aux labels, aux standards et autres certificats ainsi qu’aux audits, (ii) la production de chiffres et la mise en équivalence monétaire interne aux entreprises, et (iii) la formation de nouvelles alliances entre ONG et entreprises.
En conclusion, Alice Valiergue s’intéresse davantage aux pistes d’amélioration qu’aux problèmes posés par la pratique volontaire de la compensation carbone. D’après l’auteure, le renforcement de la qualité de projets de compensation carbone demande notamment de repenser les relations entre organisations de standardisation et opérateurs, mais surtout de résorber plus largement les inégalités Nord-Sud.
Raphaël Olivier, doctorant « Gouverner par le signal-prix ? Sur la performativité du prix du carbone interne aux entreprises ».
[1] Valiergue, A., (2021), Compensation carbone. La fabrique d’un marché contesté, Sorbonne Université Presses, Collection L’intelligence du social, Série Sociologie économique, Paris