Jacques Véron est démographe et directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Ses travaux portent principalement sur la relation entre population, environnement et développement. L’objet de son livre « Démographie et écologie »1, est de préciser les grands enjeux du champ de la démographie et de l’écologie, tout en rendant compte de la complexité des dynamiques en jeu.
La taille de la population mondiale est souvent accusée d’être source des maux actuels en matière d’écologie. Et pour cause, l’explosion de la croissance démographique au XXème siècle a concordé avec la prise de conscience écologique et le constat d’un épuisement des ressources naturelles et de dégradations environnementales (perte de biodiversité, changement climatique, surexploitation des terres…). Etant donné que la population doit atteindre les 11 milliards d’habitants en 2100, selon le scénario moyen des Nations Unies, les nouvelles générations concernées par l’écologie se demandent de plus en plus si un geste efficace n’est pas de renoncer à avoir des enfants. Cet ouvrage ne fournira pas au lecteur une réponse catégorique à cette question. Au contraire, l’auteur adopte une approche systémique et dynamique de la relation entre démographie et environnement, nous comprenons à sa lecture qu’il n’existe pas de relation évidente et exclusive entre ces deux variables.
Si l’on raisonne sous l’angle de la « capacité de charge » de la planète, c’est-à-dire le nombre d’être humains que la terre peut faire vivre durablement, il est vrai que toute chose égale par ailleurs, l’accélération de la croissance démographique mondiale se heurte aux contraintes physiques de transformation des ressources naturelles, ne serait-ce qu’en terme d’alimentation. Cependant, cet argument, qui rejoint finalement celui de la thèse malthusienne, cesse d’être valable dès lors qu’il est corrigé de l’effet niveau de vie. On imagine en effet aisément qu’à nombre d’habitants égal, un Européen ne génère pas le même impact sur son environnement qu’un Africain. Cet effet, souvent sous-estimé, pose la question de la pertinence de la mesure « population mondiale » comme indicateur de transformation de l’environnement. Un défi scientifique est ainsi, avant-même de mesurer les changements environnementaux, de s’accorder sur ce qui est entendu par « population » et « environnement ». La notion d’empreinte écologique s’avère alors très intéressante pour quantifier la relation entre population et environnement, puisqu’elle permet d’intégrer des effets écologiques très hétérogènes et facilite la comparaison entre pays.
Par ailleurs, cet ouvrage nous rappelle que la relation entre démographie et environnement n’est pas à sens unique. Pour en saisir tous les mécanismes, la notion d’environnement ne peut être abordée qu’en tant que système dynamique qui influence et est influencé par la démographie en retour. En effet l’environnement détermine la répartition géographique de la population, les migrations, mais aussi le développement économique. La démographie au sens scientifique ne se limite donc pas à mesurer la taille d’une population à un instant donné. Le cas le plus parlant est celui des évènements climatiques extrêmes face auxquels tous les êtres humains sont loin d’être à égalité. Ce livre nous rappelle ainsi que le niveau de risque et de vulnérabilité des populations ne peut être dissociée du niveau de développement de l’économie à l’échelle locale ou nationale. Une variable importante et au confluent des champs de recherche « écologie-démographie-développement » est en outre la santé. Par exemple, la déforestation et l’installation d’infrastructures d’acheminement de l’eau tels que la construction de barrages ou la mise en place de systèmes d’irrigations peut favoriser l’expansion du paludisme dans les pays où il sévit. La croissance de la mobilité humaine est également un facteur de transmissions d’épidémies, comme actuellement le coronavirus qui a contaminé l’Amérique et l’Europe avec pour vecteur les voyageurs en provenance de Chine.
On voit bien, et là est l’ambition de cet ouvrage, que les relations environnement-démographie-économie sont rarement mécaniques, et que tout le défi scientifique est d’isoler et de déterminer le effets croisés en jeu.
Anouk Faure, Doctorante « Modélisation de long terme du Marché carbone Européen (EU ETS) »
1 Jacques Véron, « Démographie et écologie », Edition La Découverte, Collection « Repères », parution mars 2013, 128 Pages