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La Chaire a lu pour vous : Du nouveau sous le soleil de John R. McNeill

Publié le 22 janvier 2019

Pour quiconque s’intéresse à l’environnement, Du nouveau sous le soleil [1] appartient à la catégorie des incontournables. La version originale a été primée à sa sortie par l’association mondiale des historiens. La version française a été publiée une dizaine d’années plus tard. Dans sa préface, l’auteur y délivre un message important : « Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce livre au début des années 1990, je pensais que l’élément qui avait le plus fortement marqué l’histoire environnementale mondiale du XX° siècle avait été l’accroissement de la population. Lorsque j’eu achevé ce travail, mon opinion avait changé, et c’est le système énergétique basé sur les énergies fossiles que je considérais comme la variable essentielle. Je pense maintenant, dix ans plus tard, que si c’était à refaire, j’insisterais encore plus sur les énergies fossiles » (P.7). Une entrée en matière qui suscite la curiosité des lecteurs sensibilisés à la question climatique.

L’ouvrage se divise en deux parties de tailles très inégales. La première aborde systématiquement les changements intervenus dans les différentes composantes du système Terre : l’écorce terrestre, l’atmosphère, le cycle de l’eau et la biosphère. Le parcours est époustouflant. « Rien de nouveau sous le soleil » nous disait la citation de l’Ecclésiaste dont le titre du livre est inspiré. Et bien si : l’activité des humains a profondément transformé notre environnement au XX° siècle. Démonstration de Mc Neill, concernant les pollutions atmosphériques.

Avant la maîtrise du feu, « les gens ne pouvaient guère polluer l’air sinon par quelques coups de pieds soulevant la poussière » (P.90). Avec la maitrise du feu, la pollution atmosphérique pénètre l’espace domestique : « les gens vivaient chez eux dans un nuage de fumée » (P.92). Au XX° siècle, elle change de dimension en envahissant les villes puis l’espace monde avec l’accumulation des gaz à effet de serre.

Le cas des « villes charbon », comme Londres et Pittsburg analysées avec perspicacité par l’historien, est plein d’enseignements. Elles firent après-guerre « l’objet de transformation qui auraient semblé impossible aux habitants de l’une et l’autre ville entre 1900 et 1930 » (P.138). Elles réduisirent drastiquement l’usage du charbon au profit de combustibles moins polluants (pétrole et gaz) ou en éloignant les installations industrielles fonctionnant au charbon des centres urbains. Dans les deux cas, le facteur déclenchant fut la prise de conscience des populations de l’ampleur des dégâts sanitaires provoqués par le charbon.

Détaillons le cas de Londres, la plus grande ville du monde en 1900, à la fin de la période victorienne (6,6 millions d’habitants). La pollution atmosphérique atteint son maximum entre 1870 et 1900. L’empreinte du charbon est atténuée au début du XX° siècle dans l’industrie avec les gains d’efficacité, des substitutions par le pétrole et la « dispersion de source ». Mais la pollution urbaine reste terrible du fait de la persistance des poêles à charbon qui « étaient aussi sacro-saints pour les Anglais d’avant 1950 que ne l’est l’automobile pour un Américain contemporain » (P.132). En décembre 1956, un épisode de fog dure plus d’une semaine. Les fumées de charbon provoquent le décès prématuré de 4000 personnes. Cette crise sanitaire fait basculer l’opinion publique. Elle conduit les pouvoirs publics à bannir rapidement les poêles à charbon en éradiquant leurs fumées nocives.

Dans les cas de Londres comme de Pittsburg, le charbon a été banni des centres urbains car ses fumées les rendaient irrespirable. Une partie l’a été grâce à la substitution par du pétrole puis du gaz, une autre a consisté à éloigner les installations charbonnières des centres villes. Ce double mouvement n’a pas freiné les émissions de gaz à effet de serre qui ont au-contraire bondi aux Etats-Unis et au Royaume Unie dans l’après-guerre. Comment ne pas songer en lisant cette partie de l’ouvrage à la situation actuelle de la Chine ou de l’Inde ?

Rien de nouveau sous le soleil, révèle un narrateur hors pair. Mc Neill y dresse des portraits de personnages hauts en couleur ayant influencé l’environnement au XX° siècle. Suivons la carrière du chimiste Thomas Midgley (1889-1944). Midgley démarre dans les années vingt au centre de recherche de General Motors. Il met au point un additif plombé qui améliore la performance de l’essence. Dès le démarrage, le produit est suspecté d’avoir des effets nocifs. Midgley ne craint pas de l’inhaler en public pour convaincre de son innocuité. La supercherie fonctionne assez bien et la pollution par le plomb va devenir un problème sanitaire majeur avec le développement de l’automobile.  

Quelques années plus tard, Midgley travaille pour Frigidaire, une autre filiale de General Motors. Les réfrigérateurs de l’époque fonctionnent avec des gaz qui sont peu efficaces, toxiques et de surcroît explosifs. Notre chimiste découvre alors les propriétés des HFCs qui sont des gaz très stables, non explosifs et sans effets sanitaires directs. Les CFCs remplacent rapidement les autres gaz dans les réfrigérateurs et leurs usages se multiplient après guerres avec la diffusion de la climatisation et des vaporisateurs. Or, si les CFCs sont bien inoffensifs pour la santé, ils sont à effet de serre et, une fois dans la stratosphère, ils détruisent par réaction chimique les molécules d’ozone. Ils ont été la cause principale du trou dans la couche d’ozone détectée dans les années 70.

Dans son style inimitable, John McNeill conclut que Thomas Midgley, fort de ses deux découvertes, a eu « plus d’impact sur l’atmosphère qu’aucun être vivant dans l’histoire de la Planète » (P.202). On peut du reste discuter ce point. D’autres inventeurs, tels James Watt (1736-1819) avec sa machine à vapeur ou Rudolphe Diesel (1858-1917) avec son moteur à combustion interne ont également pas mal contribué !

La seconde partie de l’ouvrage, plus courte, porte sur les moteurs du changement. Le rôle majeur de l’urbanisation est pointé du doigt. Mc Neill interroge aussi la capacité des sociétés à réagir aux problèmes environnementaux. Son jugement est nuancé. Au XX° siècle, les sociétés ont réagi assez rapidement, et souvent efficacement, aux pollutions locales comme les fumées de charbon. Elles ont fait preuve d’une inertie bien plus grande face aux pollutions globales comme le réchauffement climatique.

A son style très simple et vivant, Mc Neill ajoute une rare qualité : sa grande érudition. Il émaille ses chapitres de nombreuses références littéraires, pour le plus grand plaisir du lecteur. Relisons celle qu’il fait figurer en introduction du chapitre sur les villes charbons : « La terre, cette belle création, me semble un promontoire stérile ; l’air, ce dais si magnifique, voyez-vous, ce splendide firmament qui nous surplombe, ce toit majestueux incrusté de feux dorés, ne me semble rien d’autre qu’un infecte et pestilentiel assemblage de vapeurs. » (Hamlet, acte II, scène 2). Shakespeare, grand visionnaire de la question environnementale !

Christian de Perthuis, Fondateur de la Chaire Economie du Climat, Professeur Université Paris-Dauphine

[1] John R. Mc Neill : Du nouveau sous le soleil, une histoire de l’environnement mondial au XXè siècle, Champs Vallon, Collection Point Histoire, 2010, 579 pages.