En principe, un livre de plus sur la relation entre le progrès de la civilisation humaine et le développement énergétique ne semble pas devoir apporter grand-chose de nouveau. L’auteur, Vaclav Smil – professeur émérite de l’Université du Manitoba, membre de la Société royale du Canada et membre de l’Ordre du Canada -, en a déjà écrit un en 1993. La toute première édition était Energy in World History: avec le temps, malgré les nombreux ouvrages complémentaires, il est devenu évident qu’une nouvelle refonte était nécessaire.
Le résultat de Energy and Civilization : A history [1] est une analyse fascinante qui illustre comment l’histoire de l’humanité est profondément liée à la capacité de transformer, de stocker ou d’utiliser de multiples formes d’énergie au fil du temps. En fait, Smil interprète l’évolution des sociétés complexes comme une amélioration de la capacité à gérer des flux croissants d’énergie provenant de sources de meilleure qualité, ainsi qu’à accroître l’efficacité de l’utilisation de l’énergie. Ces concepts, essentiels à la compréhension de l’ensemble du livre, sont brièvement présentés dans le premier chapitre. Le reste du livre peut être divisé en deux macro-sujets : l’évolution de la production et de l’utilisation de l’énergie au fil du temps et la boucle de rétroaction entre la complexité croissante des sociétés et l’adoption de nouvelles technologies (une conclusion importante est qu’une innovation n’est rien sans les bonnes incitations à l’adopter).
Les chapitres 2 à 4 traitent de la longue période courant de la préhistoire à la fin de l’agriculture traditionnelle (il y a 3,5 millions d’années jusqu’en 1800). Par exemple, il rationalise le choix de la posture debout comme une solution plus efficace – la bipédie nécessite 75% des dépenses métaboliques requises par la marche quadrupède. En outre, elle permet un meilleur accès à la nourriture. La qualité de la nourriture consommée était, à son tour, essentielle pour un quotient d’encéphalisation plus élevé – critique pour la montée de la complexité sociale. C’est le besoin des sociétés primitives de satisfaire leurs impératifs énergétiques qui a créé la boucle de rétroaction constante entre énergie, croissance démographique et développement.
Les chapitres 4 et 5 abordent la question de l’apparition d’autres sources d’énergie que les muscles des agriculteurs. L’application de nouvelles technologies a permis de transformer l’énergie cinétique (à savoir le vent et l’eau) en travail, principalement par la diffusion de moulins pour la production de travail et de voiles pour le transport. Le capital humain libéré des travaux des champs et l’excédent de production alimentaire par rapport à la demande de base de la société, ont ensuite été détournés vers d’autres activités non directement liées à l’agriculture, contribuant à accroître la complexité des sociétés. Néanmoins, il a fallu beaucoup de temps avant que les nouvelles inventions ne permettent une amélioration significative de la qualité de vie d’une grande partie de la population. Ces améliorations n’ont été véritablement perçues, avec une répartition inégale, qu’avec le début de l’ère des combustibles fossiles (chapitre 5) qui a entraîné une réduction significative des prix des aliments et de l’énergie. Cependant, ces derniers ont également amplifié l’impact de l’homme sur l’environnement : il suffit de comparer la demande en bois de l’empire romain (750 hectares de forêt par an pour la fusion du cuivre à Rio Tinto) aux besoins hypothétiques des États-Unis pour la fusion du fer en 1910 si le coke et d’autres substituts du bois n’avaient pas été utilisés (180 000 km2 par an). Malheureusement, la discussion sur l’adoption des énergies renouvelables n’est pas autant développée (pas plus, selon moi, que la discussion sur les émissions de carbone ou la pollution qui restent peu abordés).
La partie la plus essentielle de l’ouvrage demeure les deux derniers chapitres, où toutes les technologies énumérées dans la section précédente ne sont plus analysées en termes d’apport d’énergie et de puissance produite, mais en termes de changements introduits dans l’histoire de l’humanité : des réflexions intéressantes sont menées sur la façon dont l’augmentation de la consommation d’énergie de chaque individu peut influencer ses préférences (des besoins primaires aux plus éphémères), sur le PIB des pays et la façon dont l’accès à l’énergie peut être – ou non – une raison de tensions géopolitiques.
À l’instar de Bill Gates, dont Smil est l’un des auteurs préférés, je me suis demandé, en lisant le livre, si je serais un jour capable de comprendre tout cela. La quantité de calculs et de chiffres auxquels le lecteur doit faire face dès les premières pages est assez écrasante (pour les lecteurs qui abordent pour la première fois des sujets liés à l’énergie, se référer aux addenda peut s’avérer essentiel pour faciliter l’interprétation). Pour chaque encadré d’informations supplémentaires approfondies, on pourrait probablement écrire un livre à part entière. Je suis fasciné par la capacité de l’auteur à couvrir un sujet aussi vaste avec une telle profondeur. Pour intérioriser toutes ces informations, une seconde lecture sera probablement nécessaire.
Malheureusement, l’auteur a jugé trop hasardeux de se prononcer sur l’avenir de l’énergie. « La seule certitude est que les chances de réussir dans la question sans précédent de créer un nouveau système énergétique compatible avec la survie à long terme de la civilisation de la haute énergie restent incertaines. » J’ai trouvé que c’était une occasion manquée d’attirer l’attention du public sur les discussions internationales en cours, comme celle sur l’hydrogène. Peut-être dans un prochain livre ? En attendant, la lecture de Growth : from microorganisms to megacities de Smil pourrait être un bon complément aux chapitres 6 et 7.
Giulia Vaglietti, doctorante « Impacts des chocs météorologiques et de l’adaptation sur les usages du sol – Evaluation des facteurs de déforestation ».
[1] Smil, Vaclav (2018), «Energy and Civilization: a history», The MIT Press, 552p.