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La Chaire a lu pour vous La désindustrialisation de la France 1995-2015 par Nicolas Dufourcq

Publié le 25 septembre 2024

Nicolas Dufourcq est directeur général de la Banque Publique d’Investissement (Bpifrance) depuis 2013. Après avoir été diplômé d’HEC et de l’ENA, il entre au ministère de l’Economie et des Finances, puis à celui de la Santé et des Affaires sociales. Il rejoint ensuite le monde de l’entreprise avec France Telecom et Capgemini. Il nous livre dans La désindustrialisation de la France[i] un récit multi-voix du phénomène de désindustrialisation qui a touché la France entre 1995 et 2015.

A la tête de Bpifrance, l’institution phare du soutien à la réindustrialisation en France, Nicolas Dufourcq a souhaité mieux comprendre la désindustrialisation française et ses causes afin d’aborder en toute connaissance de cause ce nouveau chapitre français.

Pour ce faire, il a rassemblé 47 entretiens avec des chefs (et une cheffe) d’entreprise de tous secteurs, économistes, fonctionnaires syndicalistes, banquiers, et politiques qui ont vécu ces “années noires”. Il donne particulièrement la parole aux PME-ETI plutôt qu’aux grands groupes. A partir de ces entretiens, il synthétise les causes de cet échec, les changements ayant eu lieu depuis et le chemin qu’il reste à faire pour le projet de réindustrialisation française.

         Le fait est que le tissu industriel français, au jour de la mondialisation, devait se moderniser et être soutenu. Les témoignages font état de chefs d’entreprises n’apprenant pas l’anglais, ne croyant pas à la mondialisation, ne cherchant pas à diversifier leurs ventes à l’étranger. Au-delà des choix pouvant être personnels de la part des entrepreneurs, le climat est décrit comme défaitiste. Au moment où l’Allemagne et les concurrents internationaux se mettaient en ordre de bataille avec des politiques interventionnistes, les dirigeants français ne suivaient pas. Fantasmant une économie de fabless[1], ils dirigeaient les jeunes vers les filières générales au détriment du technique. A ce rejet de politique industrielle s’ajoute une baisse des subventions, une augmentation du coût du travail, des charges sociales et des obligations administratives.

Un climat délétère s’ensuit, les entreprises trop en retard ne pouvant ni se maintenir ni      entamer les transformations nécessaires pour ce faire. Certaines les ont réalisées : une grande partie des dirigeants d’entreprises interrogés en font d’ailleurs partie. D’autres ont vu leur société faire faillite, par contrainte – un phénomène notamment accéléré l’impôt sur les successions – ou facilité. En effet, dans son entretien, le représentant de la CGT raconte qu’une volonté actée de transformer une entreprise en profondeur a évité la délocalisation initialement prévue, soulignant ainsi, le manque de volonté réformatrice dans les autres. La libéralisation des marchés a touché de plein fouet le tissu industriel français, qui a laissé son industrie se financiariser, au contraire de l’Allemagne qui a su maintenir un capitalisme familial implanté et structurant son territoire.

L’un des faits marquants est l’absence de concession et de compromission ressortant du panel d’entretien. Les patrons concèdent que certains de leurs collègues n’ont pas le comportement adéquat vis-à-vis des travailleurs et syndicats, les syndicalistes reconnaissent qu’il y a une culture de l’affrontement, les politiques, fonctionnaires et autres admettent que les choix furent mauvais. La responsabilité fut collective dans la défaite comme elle le fut dans la victoire pour l’Allemagne. Et il est par ailleurs reconnu que ce succès se fit au prix de la précarisation de 5 millions de travailleurs par la libéralisation du marché du travail avant la mise en place du SMIC par Angela Merkel.

Enfin, de nombreux points indiquant un renouveau de l’industrie française et des pistes d’amélioration émaillent le livre. Le verdict est unanime sur l’amélioration du contexte fiscal pour la petite et moyenne industrie, l’utilité de la réforme de l’apprentissage et le retour – encore timide – d’un patriotisme économique. Nombreuses sont les entreprises ayant créé leur propre école pour leurs besoins de recrutement, et dont le climat social s’est grandement amélioré à la suite de l’arrivée de l’actuel dirigeant. Un représentant syndicaliste indique que souvent où le climat social est conflictuel, les décisions courageuses n’avaient pas été prises par le passé, et cela s’illustre par un patron disant que depuis qu’il avait repris l’usine, il n’y avait plus de grève alors qu’elles étaient monnaie courante sous son prédécesseur. Le retour d’expérience de ces témoignages est la nécessité de l’esprit de corps, entre politique, entreprises, travailleurs, et administration.

Ainsi, alors que les PME et ETI sont peu sur le devant de la scène, ce livre leur donne en priorité la parole. C’est déjà une avancée au regard du prime éloignement entre le Paris politique et les territoires d’industrie que de partir de leur témoignage pour aller de l’avant.

Camille Ramecourt, Chargée de recherche stagiaire CEC/Paris Dauphine-PSL.

[i] Dufourcq, N., La désindustrialisation de la France 1995-2015, Ed. Odile Jacob, parution le 01/06/2022, Collection Economie, pp.384.

[1] entreprise sans usine (contraction de l’anglais fabrication et less, soit « sans usine, sans unité de fabrication »)