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La Chaire a lu pour vous La fabrique des pandémies de Marie-Monique Robin

Publié le 20 avril 2021

Dans La Fabrique des pandémies – préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire [1], Marie-Monique Robin cherche à analyser et replacer la propagation mondiale de la Covid-19 dans un contexte plus général, à travers multiples entretiens avec des chercheurs en biologie et en épidémiologie. Elle trace plus spécifiquement un lien entre l’émergence de nouveaux virus et bactéries et l’activité humaine, dans le but de montrer que l’épidémie actuelle n’est pas complètement unique en son genre et pouvait être anticipée et évitée. Elle identifie quatre causes favorisant l’apparition de ces maladies : la déforestation, la fragmentation des espaces naturels, l’urbanisation et la globalisation. Ensemble, ces activités provoqueraient un dysfonctionnement global des écosystèmes, créant les conditions nécessaires pour que des virus d’origine animale mutent et se transmettent à l’être humain. Elle argumente enfin que le vaccin n’est pas une solution durable à la crise sanitaire, puisque si ses causes ne sont pas traitées de nouvelles pandémies continueront d’apparaître. En creux, Marie-Monique Robin remet progressivement en question le modèle de développement occidental, fondé sur l’exploitation de la nature pour assouvir des besoins humains et la multiplication des échanges sur des distances de plus en plus longues. Le lien établi entre l’affaiblissement de la biodiversité mondiale et l’émergence de nouveaux pathogènes est essentiel pour justifier l’action politique proposée à la fin de son ouvrage.

Son argumentaire s’appuie en grande partie sur la recherche autour des « virus émergents », initiée dans les années 70s par des biologistes comme Stephen Morse, qui allaient à contre-courant du consensus scientifique sur la disparition des maladies infectieuses. La deuxième moitié du XXème siècle a en effet vu la disparition de virus meurtriers comme la variole, notamment grâce à la généralisation de l’usage des vaccins. Pourtant, de nouvelles maladies voient le jour dès les années 80s, come Ebola ou la fièvre de Lassa, contre lesquelles des solutions médicales et vaccinales sont trouvées. Chaque pandémie est maintenue sous contrôle dans l’urgence, sans pour autant que l’on s’intéresse aux causes de leur émergence. La question centrale que ce livre cherche à approfondir s’inscrit dans la ligne directe de ces travaux de recherche : comment expliquer que des maladies zoonotiques, autrement dit d’origine animale, qui existent probablement depuis des siècles, se transmettent soudainement massivement à l’homme ? Pour y répondre, elle s’appuie sur une vision dite « écologique » de l’émergence des maladies, qui ne place pas l’être humain en bout chaîne en tant que victime du virus, mais qui l’envisage comme la cause principale de son émergence. Elle plaide en faveur d’un net déclin des activités humaines perturbant la biosphère, s’inscrivant dans une logique de précaution plus que de prévention. La simple prévention consiste en effet à se prémunir des risques connus en utilisant des moyens d’action identifiés, comme les vaccins, les traitements médicaux. La précaution, à l’inverse, consisterait à anticiper ce qui pourrait se produire et qu’on ne connait pas encore, et à agir sur les causes de l’émergence des virus. Les méthodes standards en biologie et en médecine ne sont pas appropriées dans ce paradigme de prévention de l’émergence : on ne peut pas faire de statistiques sur les probabilités de mutations des virus d’origine animale tant ils sont nombreux et que les potentialités sont grandes. Les modes d’actions et les recommandations de politiques publiques semblent donc a priori beaucoup moins concrets, mais ce livre s’attache à démontrer l’inverse.

Pour proposer des solutions, il s’agit d’abord de tracer un lien causal entre l’activité humaine et la mutation des pathogènes d’origine animale. Elle reprend en grande partie les résultats des écologistes de la santé quant aux facteurs favorisant les mutations des virus. Au cœur du mécanisme, on retrouve la déforestation et l’élevage intensif, principaux canaux de mutation de propagation de virus existants parmi la faune sauvage. Elle revient notamment sur le virus Nipah, portés par des chauve-souris chassées de leur habitat naturel par la déforestation, qui ont d’abord transmis le virus à des cochons d’élevage en Malaisie en se réfugiant autour des fermes pour se nourrir dans les arbres qui les entourent. Le génome du virus se modifie au contact des porcins, qui le contractent et le répandent entre eux, et finit par devenir transmissible à l’homme, puis transmis d’homme à homme. La nouveauté de cette approche est de placer des facteurs d’origine anthropique au centre de l’émergence de virus, plutôt que de postuler le hasard des mutations génétiques. Ces arguments d’appuient en grande partie sur les travaux de Serge Morand, qui établissent un lien entre foyers d’émergence et déforestation depuis les années 1990. La leçon à en tirer serait donc que les épidémies peuvent apparaître à tout moment, mais que l’on est dans l’incapacité de les caractériser – et donc de leur apporter une solution standard avant qu’elles émergent. L’action politique se trouve donc reportée sur les causes, notamment la déforestation. La protection des espaces naturels vierges, en empêchant la construction de routes, est également mise en avant comme un outil de prévention efficace. En troisième lieu, l’élevage intensif est identifié comme un problème central. Les animaux d’élevage, au patrimoine génétique trop similaire et vivant trop proches les uns des autres, formeraient un pont épidémiologique entre la faune sauvage et l’être humain. Les marchés humides comme ceux que l’on retrouve au Wuhan, où sont entassés des animaux sauvages et domestiques vivants dans un but de consommation humaine, apparaissent comme des foyers d’émergence potentiels, mais ils ne sont pas les seuls.

Après avoir cherché à montrer pendant plusieurs chapitres que l’affaiblissement des écosystèmes favorise le contact avec de nouveaux agents pathogènes, une deuxième partie du livre s’intéresse à la façon dont il rend également les êtres humains plus susceptibles d’être affectés par ceux-ci. Cette deuxième série d’arguments vise à démontrer que la biodiversité est directement efficace pour protéger la santé humaine. Elle met notamment en avant l’effet dilution, utilisé par des chercheurs américains pour expliquer la propagation récente de la maladie de Lyme, qui existe pourtant depuis des siècles. Le mécanisme repose sur la régulation des populations de rongeurs, principaux hôtes du virus. En théorie, la présence de prédateurs comme le renard ou les chouettes empêche la prolifération de ces derniers, et en ce sens, protègent la santé humaine. Or les activités humaines ont considérablement limité l’espace de vie de ces prédateurs et réduit leur population, de façon directe ou indirecte, conduisant à une surpopulation de rongeurs, et donc une propagation de la maladie de Lyme bien plus forte. Ce résultat a été répliqué dans d’autres environnement où le nombre de cas de Lyme a fortement augmenté, en montrant par exemple au Kenya le lien avec la disparition des marsupiaux – qui tuent les tiques et les rongeurs. Les politiques publiques présentées comme efficaces pour préserver la santé humaine englobent donc désormais la restriction des monocultures et de l’usage des pesticides, mettant l’accent sur les ravages de l’agriculture intensive sur les écosystèmes, et in fine sur l’être humain.

Une fois établies les causes de l’émergence de nouvelles pandémies, les derniers chapitres offrent des propositions d’action politique, visant « une écologie planétaire de la santé ».  Le but de l’action politique est ici défini comme la recherche du meilleur état de santé planétaire, en définissant des limites environnementales à l’action humaine. Marie-Monique Robin trace les contours d’une éthique politique, qui viserait non pas le développement des sociétés humaines, mais l’équilibre global des systèmes écologiques. Le mode de vie des peuples indigènes est particulièrement célébré, dans une opposition entre la vision occidentale de l’écologie reposant sur le comptage des espèces et la maîtrise de la faune et de la flore sauvages, et une approche holiste du vivant dans laquelle la priorité est placée sur la protection de l’équilibre naturel. Préserver la santé des écosystèmes devrait ici être au cœur des préoccupations des décideurs politiques, en mettant l’humain au service de la nature plutôt que l’inverse. La prévention de l’érosion des espaces naturels et des inégalités sociales est ainsi définie comme pilier de toute action politique durable. Son entretien avec le chercheur en mathématiques appliquées aux sciences politiques Safa Motesharrei revient en particulier sur l’idée d’effondrement pour appuyer l’urgence d’une action forte en matière d’écologie. La pandémie Covid-19 ne serait qu’un révélateur de la grande fragilité des systèmes humains, et d’un processus d’effritement déjà en cours. Elle s’attaque notamment aux mesures dites de « biosécurité », qui consistent à nommer et harmoniser les populations d’élevage, et qui ont comme conséquence directe l’appauvrissement de la biodiversité avec la disparition des espèces locales de volailles, porcins et bovins. La réduction de la pauvreté est également présentée comme essentielle, en particulier pour réduire la consommation de viande de brousse, qu’elle soit braconnée ou soumise à une chasse régulée. L’implication des communautés locales est selon elle primordiale pour retrouver et préserver les équilibres naturels, par opposition aux modes de gestion agricole actuels, dirigés et commandés par des organisations nationales ou mondiales. L’agroécologie est mise en avant comme mode d’organisation pérenne, en plus d’actions de régulation des activités détruisant la faune et la flore, et le dialogue social est finalement amené comme seule voie vers des politiques agricoles raisonnées.

Esther Raineau-Rispal, doctorante Structure de marché, incitations et comportements économiques des artisans du secteur du bâtiment.

[1] La Fabrique des pandémies – préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Marie-Monique Robin, éditions « La Découverte ».