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La Chaire a lu pour vous La Grande Adaptation – Climat, Capitalisme et Catastrophe de Romain Felli

Publié le 29 juillet 2020
Dans cet ouvrage paru en 2016, l’universitaire suisse Romain Felli met en perspective les fondements de la politique d’adaptation aux changements climatiques en dénonçant son instrumentalisation par la logique de marché, au détriment des plus vulnérables. Précisément, ce livre raconte comment l’idée d’adaptation aux changements climatiques a été mobilisée – et mise en œuvre – dès les années 1970, pour permettre une extension du marché dans tous les domaines de la vie. Les lignes qui suivent ne sont pas un résumé complet de l’analyse proposée par l’auteur mais une présentation d’éléments jugés pertinents par le lecteur.
En suivant un cadre d’analyse largement empreint de la théorie marxiste, Felli défend la thèse que le concept d’adaptation des sociétés aux changements climatiques s’est imposé dès les années 1960 comme l’option par défaut pour répondre au dérèglement climatique. A cette époque et jusqu’aux années 1980, les famines engendrées par les catastrophes naturelles sur les populations largement dépendantes de l’agriculture sont appréhendées sous un angle principalement néo-malthusien. Autrement dit, les populations pauvres sont les plus vulnérables au changement climatique car ces dernières sont trop nombreuses et exercent une pression exacerbée sur les ressources (par ailleurs finies). A cette période, la notion d’action de l’homme sur le climat est inexistante et le dérèglement climatique – lorsqu’il est reconnu – est appréhendé comme un choc externe « ordinaire » à la société (i.e. au même titre qu’un choc économique). Cette société, en concordance avec le système économique, doit donc s’y adapter.

Dans un contexte de guerre froide, l’émergence du thème du changement climatique et la nécessité de l’adaptation est dès lors appréhendée comme un moyen de diffuser le système économique libéral dans les pays d’Asie et d’Afrique, hébergeant les populations les plus vulnérables au dérèglement du climat. Discutant cette perspective, Felli dénonce l’instrumentalisation de la notion d’adaptation par des politiques néolibérales visant à étendre le marché en éludant les causes structurelles de la vulnérabilité. En effet, les origines des chocs alimentaires (famines) sont exclusivement rapportées aux problèmes naturels (sécheresses) plutôt qu’à la gestion des pouvoirs publics en place et aux organisation sociétales. De là, les épisodes de famine sont considérés comme la résultante d’un manque de capacité d’adaptation des populations les plus pauvres causée par leur exclusion du marché. Les vulnérabilités socio-économiques pré-existantes de ces populations sont alors largement négligées.

Afin d’illustrer son propos, Felli discute plusieurs exemples. Pour lui, le développement de la microfinance et du microcrédit se présente comme un premier outil pour s’adapter aux changements climatiques au Sud, permettant l’extention du marché libéral. En s’appuyant sur l’exemple de la province indienne de l’Andhra Pradesh, Felli démontre qu’en imposant une recherche accrue de productivité négligeant l’agriculture vivrière, le microcrédit augmente la dépendance au marché, conduisant à l’endettement et à la faillite de petits paysans. Aspirant à pallier l’incertitude et à mutualiser les risques, les projets de micro-assurance menés par les multinationales visent aussi à tirer profit de la pauvreté et n’ont donc pas intérêt à réduire la vulnérabilité mais à la perpétuer. Dans une autre optique, pour devenir rentable, le système ne peut que perdre les caractéristiques de son fonctionnement local – c’est à dire les subventions qui permettent aux plus pauvres d’y participer et les négociations avec les acteurs locaux – et accentuer la vulnérabilité des plus pauvres aux variations de prix, puisqu’ils sont conduits à commercialiser leur production. Il conclut ainsi qu’en ignorant les conditions économiques et sociales de la vulnérabilité des plus pauvres, de nouvelles vulnérabilités sont créées, faisant entrer insidieusement la loi du marché dans la logique d’adaptation aux changements climatiques.
 
Côme Billard, doctorant « Appliquer l’économie des réseaux à la transition énergétique : essais sur les processus de diffusion et de négociations »
 
Romain Felli, La Grande Adaptation. Climat, Capitalisme et Catastrophe, Paris, Seuil, 2016, 292 p., 18€.