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La Chaire a lu pour vous La structure des révolutions scientifiques de Thomas S. Kuhn

Publié le 24 septembre 2021

La science est généralement perçue comme une activité cumulative : les chercheurs produiraient continuellement du nouveau savoir qui, à l’instar d’un mur de briques, viendrait s’ajouter aux connaissances existantes pour étendre notre champ de compréhension du monde. Classique de l’épistémologie, La structure des révolutions scientifiques [1] de Thomas S. Kuhn tempère cette perception. L’histoire montre que la science alterne entre des périodes de recherche normale, où le travail scientifique vise effectivement à perfectionner, en portée et en précision, les connaissances existantes ; et des périodes de recherche extraordinaire, aussi appelées révolutions scientifiques, où la pratique scientifique est alors radicalement modifiée : les théories et méthodes conventionnelles sont rejetées, d’autres sont consacrées, et des problèmes, jusque-là inexplorés, font soudainement l’objet d’une attention nouvelle. Comment et pourquoi ces révolutions apparaissent-elles ? Comment sont-elles résolues ? Pourquoi sont-elles si rares ? Sont-elles facteur de progrès ?

Au travers d’exemples historiques précis, souvent empruntés à la physique, et de concepts épistémologiques fondateurs, l’auteur apporte des réponses claires à ces questions. Sans remettre en cause la rigueur de la démarche scientifique, il met en évidence l’importance du conformisme dans sa mise en œuvre : la science repose toujours, selon lui, sur l’adhésion massive des chercheurs à un paradigme, qu’ils ne cessent ensuite d’enrichir et de conforter à travers la résolution de problèmes bien choisis. Des crises apparaissent lorsque des anomalies, c’est-à-dire des observations incohérentes avec le paradigme existant, surviennent. Elles peuvent être résolues soit en l’ajustant, aussi longtemps que cela est possible, soit en le rejetant, lorsque les anomalies constatées sont majeures. Il faut alors établir un nouveau paradigme, c’est-à-dire de nouvelles théories, applications et méthodes expérimentales permettant d’encadrer la pratique scientifique. Pour Kuhn, ce changement profond rend la comparaison entre deux paradigmes successifs incommensurable : le passage de l’un à l’autre ne constitue pas nécessairement un progrès, en ce sens qu’il existerait entre les deux une relation d’ordre, mais bien une manière radicalement différente de faire de la science, qui permet de rendre compte d’observations jusqu’alors inexploitables.

Ces réflexions nous permettent de prendre du recul sur la portée et la fin de nos travaux de recherche : les sujets que nous abordons, ainsi que les méthodes que nous utilisons, sont en grande partie conditionnés par et au service du paradigme dans lequel ils s’inscrivent. Elles peuvent aussi questionner la façon dont la connaissance est traitée dans les modèles économiques : souvent de façon linéaire, continue et à une dimension, sans tenir compte des ruptures fondamentales engendrées par les révolutions scientifiques.

L’économie orthodoxe est-elle à l’aube d’une révolution ? La question est légitime, tant sa scientificité et sa capacité à appréhender les enjeux climatiques sont aujourd’hui remises en cause. La lecture de l’œuvre de Thomas S. Kuhn peut aider à concevoir dans quelle mesure et comment la science économique peut évoluer pour répondre à ces interrogations.

Mohamed Bahlali, doctorant Contrats optimaux en temps continu, jeux à champ moyen et régulation environnementale. 

[1] Kuhn, Thomas Samuel, La structure des révolutions scientifiques, 1962, revu en 1970. P284.