Introduction
« L’arbre-Monde » [1] est un roman écrit par Richard Powers qui s’inscrit dans le genre de l’éco-fiction. Ce livre complexe et ambitieux explore l’interconnexion entre les êtres humains et le monde naturel. Il met en scène divers personnages et des intrigues secondaires entremêlées, offrant aux lecteurs une perspective approfondie sur des thèmes environnementaux et scientifiques.
L’histoire tourne autour de différents protagonistes, notamment des scientifiques, des activistes et des artistes, tous passionnés par l’environnement et la conservation de la nature. Le roman explore leurs efforts pour comprendre et protéger le monde naturel, en fournissant une analyse détaillée des défis auxquels ils sont confrontés et de leurs découvertes progressives.
L’auteur nous invite à réfléchir à notre relation avec le monde naturel et à l’impact de nos actions sur l’environnement. Grâce à un style narratif captivant et à une prose riche en images et en faits réels, Powers montre la beauté et la fragilité de la nature, ainsi que sa résilience et sa capacité d’adaptation.
Résumé
« L’arbre-Monde » raconte l’histoire de neuf personnes interconnectées dont la vie est profondément influencée par les arbres et la nature. Le livre est divisé en quatre parties, chacune correspondant à une étape du cycle de vie d’un arbre : « Racines », « Tronc », « Couronne » et « Graines ».
Dans la partie « Racines », le récit introduit les différents personnages du récit ainsi que leur relation avec les arbres. La plupart des personnages ont vécu une expérience traumatisante dans leur vie. Pour ne citer que quelques exemples des récits introductifs du roman, Nicholas Hoel est un artiste dont toute la famille est décédée. À la suite de cette tragédie, il retourne à la ferme où il a grandi et commence à peindre un châtaignier qui lui est cher (une espèce presque disparue aujourd’hui) et qui fait partie de la famille depuis des siècles. Mimi Ma, un ingénieur, voit également sa vie bouleversée par la mort de son père et plante un mûrier en son honneur.
La partie « Tronc » marque le moment où la plupart des personnages apprennent à se connaître et décident de s’engager ensemble dans l’activisme environnemental. Ils décident de s’installer ensemble dans un séquoia géant appelé Mimas. Mimas est personnifié et devient le dixième personnage dans le roman. Plus tard, les activistes sont contraints de quitter l’arbre et Mimas est tué. En réaction, leurs manifestations deviennent plus violentes et Olivia, une étudiante, est tuée par une explosion. Il s’agit d’un tournant dans l’histoire, qui marque le début de la partie « Couronne ».
Tous les autres personnages sont très choqués par la mort d’Olivia, abandonnent leur activisme violent et se séparent les uns des autres, comme les branches de l’arbre qui s’éloignent du tronc. Dans cette phase du livre, les personnages trouvent leur place dans la société d’une manière plus conforme.
Ce qui dans la partie « Couronne » est montré comme une perte pour le monde des écologistes, est réinterprété dans la partie « Graines » avec plus d’espoir. En effet, tous les personnages parviennent encore à défendre leurs idées et, dans certains cas, à les communiquer à d’autres personnes. Le roman s’achève avec Nicholas sculptant une énorme sculpture naturelle épelant le mot « STILL »[*].
Interprétation et conclusions
Ce roman se prête à de multiples interprétations. D’un point de vue économique, le thème principal est celui d’externalité, un concept au croisement entre l’économie et l’environnementalisme. Le roman présente une critique du paradigme économique dominant qui privilégie le profit à court terme et les valeurs centrées sur l’homme au détriment de la santé et du bien-être à long terme du monde naturel.
Les externalités sont les coûts ou bénéfices non pris en compte dans le prix des biens ou services. Dans le cas de la déforestation et de la dégradation environnementale, les externalités négatives, telles que la perte de biodiversité, le changement climatique et l’effondrement des écosystèmes ne sont pas prises en compte dans les transactions commerciales. Les personnages du roman, en particulier les militants, sont animés par la prise de conscience que la destruction des arbres et des forêts a des conséquences profondes qui vont au-delà des gains économiques immédiats.
« L’arbre-Monde » montre le conflit entre des industries axées sur le profit, telles que les sociétés d’exploitation forestière, et la valeur intrinsèque de la nature. Les actions des personnages sont une réponse à l’incapacité du marché à reconnaître et internaliser les coûts réels de la dégradation environnementale. Ils remettent en question le système économique dominant qui traite la nature comme une ressource plutôt que comme un réseau complexe de vie qui soutient l’existence humaine. À travers Adam Appich, nous comprenons également la difficulté de parvenir à un consensus sur la valeur de la nature et de la biodiversité. Ce personnage cherche à comprendre pourquoi des personnes différentes attribuent des valeurs différentes à un même bien environnemental.
Le roman soulève également des questions sur l’espoir que nous pouvons placer dans le monde scientifique. L’histoire de Patricia Westerford, chercheuse en communication des arbres, montre combien il est difficile de parvenir à un consensus sur la nécessité d’un changement complet de paradigme même dans le monde universitaire. Le travail de Patricia est d’abord rejeté par le monde universitaire, avant d’être accepté après des années de résistance et de batailles.
Enfin, l’évolution des personnages vers un activisme environnemental plus violent peut être considérée comme une réponse à l’incapacité des mécanismes du marché et des réglementations gouvernementales à faire face aux problèmes environnementaux. Il reflète la frustration des personnages face à la lenteur du changement et la conviction que des mesures plus radicales sont nécessaires pour protéger le monde naturel.
Dans les dernières lignes de « L’arbre-Monde », Nicholas écrit en caractères gigantesques le mot « STILL » avec des troncs d’arbre tombés au sol. L’interprétation de cette fin peut être très personnelle. Ce que j’en retiens, c’est la connotation du mot « STILL » en termes de tranquillité, reflétant la façon dont les arbres vivent, grandissant et observant le monde à un rythme lent. Les humains peuvent apprendre des arbres à se tenir tranquilles, à ralentir et à apprécier le monde naturel. En ce sens, un nouveau paradigme économique peut émerger, en contraste avec la course constante vers une croissance économique rapide – un paradigme qui promeut au contraire le retour à un mode de vie plus simple. Enfin, nous pouvons interpréter le mot « STILL » comme une représentation de la résilience et de la résistance. Malgré les menaces constantes, les arbres sont toujours là, capables de s’adapter à des siècles de changements. De même, en tant qu’humains, malgré l’intérêt économique de quelques personnes et les difficultés qu’un climat changeant nous fera rencontrer, nous nous adapterons nécessairement, par notre résistance, à l’avenir incertain.
[*] En anglais, plusieurs significations : 1) (adverbe) Qui continue d’arriver, d’être fait ; encore. 2) (adverbe) Malgré le fait que. 3) (adverbe) Encore plus. 4) (adjectif) Qui reste dans la même position, ne bouge pas. 5) (verbe) Faire que quelque chose arrête de bouger, devienne plus calme. 6) (nom) Arrêt sur image, photographie.
Francesco Savazzi, Doctorant, La justice climatique en temps de crise.
[1] Powers, R. (2018), L’arbre-Monde, Ed. Le Cherche-Midi, pp.350.