Traiter le climat en tant que « bien commun », telle est l’approche empruntée par J. Tirole et E. Ostrom, respectivement prix Nobel d’économie en 2014 et 2009. Pour autant, Benjamin Coriat, auteur de Le bien commun, le climat et le marché : réponse à Jean Tirole [1] relève que les deux économistes n’ont pas la même définition de ce que sont les « communs », ce qui les amène à des conclusions très éloignées sur les actions à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique.
Dans un premier chapitre, l’auteur dénonce notamment la posture de J. Tirole sur la notion de « bien commun ». En effet, alors qu’il n’a jusqu’alors jamais abordé la question des « biens communs », J. Tirole publie en 2016 un ouvrage intitulé Economie du bien commun [2]. Malgré le titre, B. Coriat note que la notion de bien commun n’est abordé qu’à de rares occasions, et que les références bibliographiques sur la littérature des biens communs sont faibles. En particulier, l’auteur signale que les travaux de E. Ostrom ne sont cités qu’une seule fois dans tout l’ouvrage, elle qui a justement reçu son prix Nobel pour sa théorie des communs.
Dans la suite de ce chapitre, l’auteur tâche de prouver que l’ouvrage de 2016 de J. Tirole n’est qu’une reformulation de ses travaux antérieurs sur la théorie des contrats, des incitations et de la régulation. Pour cela, B. Coriat commence par décrire la solution proposée par ce dernier pour lutter contre le changement climatique, qui consiste en l’instauration d’un marché carbone globalisé, devant répondre aux défaillances de marché. B. Coriat multiplie alors les exemples pour montrer en quoi une telle solution n’est pas adaptée d’un point de vue théorique, éthique et opérationnel. Ces exemples ne sont toutefois qu’un argumentaire pour soutenir la thèse de l’auteur : l’économie du bien commun de J. Tirole n’est qu’une économie de bien-être au sens classique, et le « voile de l’ignorance » que ce dernier brandit pour justifier cette définition n’est qu’un leurre.
Le second chapitre est dédié à la théorie des communs décrite par E. Ostrom. L’auteur commence par montrer en quoi les travaux menés par E. Ostrom sont pertinents dans la lutte contre le changement climatique (contrairement à ce que J. Tirole a pu énoncer), mais surtout en quoi ils diffèrent de ce que J. Tirole a pu proposer, que ce soit au niveau de l’analyse du problème ou des solutions à y apporter. Il prend les exemples de La Commision Rodotà en Italie et de la Convention Citoyenne pour le Climat pour montrer que la notion de bien commun est pertinente dans la pratique et pas uniquement en théorie. Il montre comment chacune de ces initiatives a trait à la notion de bien commun.
Le lecteur retiendra donc les éléments suivants à la lecture de ce livre. D’une part, l’auteur se montre convaincant pour montrer que traiter le climat en tant que bien commun (au sens de E. Ostrom) est pertinent. Il résume avec clarté les éléments de la théorie des communs : celle-ci passe par une gouvernance polycentrique reposant sur (i) la pluralité des échelles et sur la coordination, (ii) la délibération et (iii) l’existence de communautés. D’autre part, l’auteur critique vivement l’approche de J. Tirole. Plus précisément, il critique son choix d’utiliser un terme déjà largement documenté pour y apposer sa propre définition. Sur ce point, l’auteur aligne les arguments et les exemples, et le lecteur ne peut que déplorer le choix de J. Tirole de ne pas mentionner la littérature préexistante à son ouvrage sur les biens communs. Néanmoins, il revient au lecteur de se faire sa propre opinion sur la solution proposée par J. Tirole quant à la lutte contre le changement climatique et de déterminer si celui-ci doit être un bien commun au sens de E. Ostrom ou de J. Tirole.
Adrien Nicolle, doctorant, Le déploiement économique des infrastructures de capture et séquestration du carbone.
[1] Coriat, B. (2021). Le bien commun, le climat et le marché: réponse à Jean Tirole. Éditions les Liens qui libèrent.
[2] Tirole, J. (2016). Économie du bien commun. Presses universitaires de France.