Christian Gollier est titulaire de la chaire annuelle « Avenir commun durable » au Collège de France et directeur général de la Toulouse School of Economics qu’il a cofondée avec Jean Tirole. Il fut président de l’association européenne des économistes de l’environnement ainsi qu’un des principaux auteurs du rapport du GIEC paru en 2007. Son dernier ouvrage en date, Le climat après la fin du mois [1] (2019) se veut un livre de vulgarisation scientifique autant qu’une proposition politique : celle d’une taxe carbone à 50 euros la tonne. Ce livre sort peu après, on pourrait même dire en réponse, au mouvement de protestation des Gilets Jaunes apparu spontanément à la suite de l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) fin 2018. Son titre s’inspire d’ailleurs de différents mots d’ordre du mouvement des gilets jaunes tels que “les élites parlent de fin du monde, quand nous, on parle de fin du mois” ou “fin du monde, fin du mois, même combat”.
Christian Gollier est un grand partisan de la taxe carbone, qu’il présente d’ailleurs comme faisant consensus parmi les économistes. Le climat après la fin du mois débute donc assez logiquement avec les raisons pour lesquelles nous aurions besoin d’une telle taxe. A la manière d’une taxe pigouvienne, la taxe carbone répond à la nécessité d’internaliser le coût social des activités économiques émettrices de carbone, cette externalité négative n’étant aujourd’hui qu’insuffisamment prise en compte dans l’économie. La taxe carbone permettrait ainsi d’envoyer un signal-prix à même d’entraîner un changement de modes de vie à la hauteur des enjeux climatiques. En creux des arguments de Christian Gollier se dessine aussi une méfiance des politiques climatiques trop coercitives et jugées par l’auteur propices aux dérives autoritaires, ainsi qu’un pessimisme quant à la capacité des démocraties à prendre en compte les intérêts des générations futures, celles-ci étant en toute logique absente à la table des négociations. Christian Gollier s’attaque aussi aux discours portés par les dirigeants politiques et une partie des médias, selon lesquels la transition écologique pourrait se faire sans sacrifice de la part des consommateurs. Ils aboutissent selon lui à la situation paradoxale faisant qu’au moment où les Gilets Jaunes protestent pour s’opposer à l’augmentation de la TICPE, quatre associations attaquent l’état français pour inaction en matière de lutte contre le changement climatique. Pour répondre à l’auteur, on pourrait mettre en avant les sondages suggérant que les Français sont en majorité prêts à agir pour l’écologie, mais à la condition que les efforts soient répartis d’une manière considérée comme juste.
En plus d’envoyer un signal prix clair et de s’inscrire dans une logique “pollueur-payeur” intuitive, la taxe carbone possède également de nombreuses autres qualités selon Christian Gollier. D’une part, parce qu’elle porte uniquement sur les émissions (et donc les dommages à l’environnement) sans se prononcer sur les usages, elle ne constitue pas un outil liberticide ou paternaliste. Son universalité aurait aussi pour vertu de ne faire payer à l’ensemble de la société que le sacrifice nécessaire pour assurer la transition écologique, là ou d’autres mécanismes moins efficaces revêtent un coût inutilement élevé. Par exemple, la mise en place de normes ou autres mécanismes plus ciblés revient souvent à payer très chère la tonne de CO2 évitée. C’est ainsi qu’en France le secteur agricole se retrouve quasiment exempté de taxe carbone, alors que l’obligation de rachat du surplus d’électricité verte par EDF, ou le “bonus malus” dans le secteur automobile, aboutissent de facto à une taxe carbone bien plus élevée que 50 € la tonne. Bien que plus discrets, et donc plus facilement acceptés, ces mécanismes finissent néanmoins financés par les contribuables qui déboursent in fine davantage que ce qui serait nécessaire pour aboutir à un résultat similaire en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, la taxe carbone permettrait d’éviter une sobriété généralisée, en ne rendant plus parcimonieuse que la seule consommation des biens et services générateurs d’externalités négatives. Enfin, pour garantir le caractère égalitaire de la taxe carbone – et donc indirectement son acceptabilité sociale – des mesures redistributives peuvent être mises en place avec la recette de la taxe, à l’instar d’un chèque énergie. Toujours pour des raisons d’efficacité, il est toutefois important que ces mécanismes de redistribution soient indépendants de la taxe carbone et ne soient pas limités au financement d’une catégorie ciblée de biens de consommation.
Le coût de 50€ la tonne de CO2, assez opaque durant la majeure partie du livre, est explicité dans les derniers chapitres. L’auteur prend le temps de détailler les considérations éthiques et techniques derrière un tel chiffre. Un facteur important est par exemple le poids moral que nous voulons bien donner aux générations futures. De la même manière se pose la question de savoir comment arbitrer entre les coûts d’aujourd’hui et les bénéfices futurs, et ce afin de ne pas en faire “trop” pour les générations futures au détriment des humains vivants aujourd’hui. A cette fin, Christian Gollier présente l’équation de Ramsey, qui est une règle éthique pour calculer un taux d’intérêt en fonction de la préférence pour le présent, la croissance économique, et l’aversion aux inégalités entre générations. Sans grande surprise, ce prix du carbone peut être amené à évoluer en fonction des hypothèses choisies et des arbitrages décidés. Point néanmoins important : Christian Gollier précise que le prix de 50 € présenté comme une référence tout au long du livre doit augmenter au fil du temps pour plusieurs raisons, dont notamment la croissance exponentielle des dégâts climatiques et la répartition progressive de l’effort. Le rapport “Quinet 2” sur la politique climatique française recommande ainsi un prix de 775€/ la tonne pour 2050.
Pour ne pas limiter ses propositions au contexte français, et après un bref rappel des échecs successifs des COP, Christian Gollier s’intéresse à la question de la coopération internationale en matière de climat. Il reprend l’idée de William Nordhaus de créer une coalition de pays volontaires, prêts à instaurer une taxe carbone commune. La mise en place de cette coalition s’accompagnerait de taxes douanières à l’importation importantes pour les pays hors de la coalition, de manière à les inciter à la rejoindre (et donc d’adopter une taxe carbone) tout en diminuant les effets d’un potentiel dumping environnemental ou d’un manque de compétitivité lié à la taxe carbone. Une telle coalition basée sur le volontariat aurait pour avantage de ne pas avoir à dépendre du bon vouloir de la Russie, de l’Arabie Saoudite, ou des autres pays ayant traditionnellement tendance à faire échouer les négociations internationales par manque d’engagement. Bien que certaines difficultés pourraient prévenir l’avènement de ce projet, notamment l’OMC pourrait s’opposer à l’instauration de telles taxes douanières, Christian Gollier défend qu’il serait réalisable.
D’une manière générale, Le climat après la fin du mois est un plaidoyer convaincant et exhaustif en faveur de l’instauration d’une taxe carbone universelle. Indirectement, le livre permet aussi de mettre en avant la manière dont l’économie “orthodoxe” peut répondre aux enjeux climatiques, alors même qu’elle est souvent accusée d’être aveugle aux enjeux environnementaux. On pourrait néanmoins reprocher à Christian Gollier un manque d’arguments concernant la capacité de la taxe carbone à s’assurer de limiter le réchauffement sous la barre des 2°, ainsi que de la manière de la rendre juste et politiquement viable.
Tom Bry-Chevalier, doctorant, Enjeux économiques de la viande cultivée comme technologie de rupture face au changement climatique.
[1] Gollier C., 2019, Le climat après la fin du mois, Edition PUF.