L’économie africaine 2021[1] structuré en six grands chapitres se donne comme objet d’analyser les principaux enjeux économiques et sociaux qui touchent le continent africain en ce début de 2021. Le premier point majeur relevé nous apprend que même si le virus de la récession économique a davantage circulé sur le continent comparativement à celui du Sars-CoV-2, les économies africaines ont tout de même fait preuve d’une résilience macroéconomique assez remarquable face à la pandémie. Le second point fort de l’ouvrage s’intéresse surtout au secteur agricole dans la zone ouest-africaine, plus précisément, à l’arbitrage entre amélioration des rendements agricoles et préservation de la biodiversité et de l’environnement. D’autres questions assez importantes sont aussi abordées : l’épineuse interrogation sur l’émergence africaine, la nécessité de réformer l’environnement des affaires pour favoriser le décollage du secteur privé, l’emploi des jeunes, ou encore le régime de change à adopter par les pays ou pour une éventuelle future monnaie unique sur le continent, à l’instar de la toute prochaine monnaie unique ouest-africaine (ECO).
Les auteurs rappellent tout d’abord que le choc sanitaire annoncé en Afrique n’a vraiment pas eu lieu (seulement 4,2% des cas de Covid-19 dans le monde ont été recensés sur le continent pour 17% de la population mondiale), à l’exception de quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Egypte, le Nigéria, l’Algérie, et le Ghana qui, à eux seuls, comptabilisent les 75% des cas de Covid-19 enregistrés sur le continent. Cependant, l’Afrique a quand même connu un choc économique sans précédent (le plus important sur ces 30 dernières années) lié au Covid-19. Mais là encore, contrairement aux prévisions, l’Afrique a jusqu’à maintenant fait preuve de résilience grâce notamment à son expérience des pandémies, à la réactivité de ses autorités (fermeture rapide des frontières, confinement malgré de fortes contraintes liées à la structure de ses économies, couvre-feux etc.) et surtout grâce à sa population très jeune (les personnes âgées étant les plus vulnérables au virus). En effet, l’économie africaine a enregistré des récessions dues au Covid-19 beaucoup plus faibles que celles enregistrées par l’économie mondiale. En 2020, le PIB réel africain a reculé seulement de 2,6% (4,7% pour le PIB par tête, dynamique démographique oblige) contre un recul de l’ordre de 4,4% à l’échelle mondiale. Toujours selon les auteurs de l’ouvrage, ce choc économique résulterait principalement de la baisse des cours des matières premières, de la fermeture des frontières (baisses des recettes douanières, problème d’approvisionnement des économies et recul de l’activité touristique) et surtout des mesures de confinement dans certains pays (arrêt de l’activité économique et baisse drastique de la consommation des ménages car absence de protection sociale pour environ 70% des travailleurs du continent). A cela, il faudrait ajouter la baisse des transferts des migrants, de l’ordre de 20% selon le FMI. De fortes hétérogénéités sont tout de même à signaler selon les régions et selon la structure économique des pays. A l’exception de l’Egypte (+3,5%) qui a su s’appuyer sur la solidité de son marché intérieur et aux réponses adéquates de ses autorités monétaires et budgétaires, l’ensemble des autres pays de l’Afrique du Nord ont connu des récessions assez fortes, amplifiées notamment par leur forte dépendance au pétrole. Les autres régions ayant aussi enregistré des récessions sont l’Afrique australe (entraînée notamment par une contraction historique de 8% du géant sud-africain), l’Afrique centrale (en raison de la forte dépendance au pétrole et autres ressources extractives) et l’Afrique bordant l’océan Indien (baisse du tourisme). Les autres régions du continent se sont en revanche montrées plus résilientes face à ce choc économique. Il s’agit notamment des grands pays du golfe de Guinée (à l’exception du Nigéria du fait de sa forte dépendance au pétrole), des pays de l’Afrique de l’Est (peu de dépendance aux ressources extractives) et les pays du Grand sahel (qui ont surtout bénéficié de la hausse des cours de l’or, valeur refuge en période de crise). Toutefois, en 2021, le FMI table sur une reprise qui devrait atteindre +3,7% en moyenne sur le continent. Cependant, à court terme, cette reprise sera conditionnelle à l’évolution de la pandémie sur le continent, à la vigueur de la reprise de l’économie mondiale, à l’ampleur du choc subi par chaque pays, et à la mobilisation des appuis financiers internationaux. À long terme, il faudra renforcer les systèmes de santé et de protection sociale, diversifier les économies pour mieux faire face aux futurs chocs (limiter la forte dépendance au ressources extractives), valoriser le marché intérieur, renforcer l’intégration régionale (notamment à travers la ZLECAf) et renforcer la capacité financière des Etats (assainissement des finances publiques).
Les auteurs présentent ensuite l’agroécologie en Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Sénégal, comme un moyen d’améliorer les rendements du secteur tout en minimisant ses conséquences environnementales, même si beaucoup de facteurs entravent encore sa diffusion à travers le continent. Ils rappellent tout d’abord que le secteur agricole est assez important pour l’Afrique subsaharienne (15,6% du PIB réel et 54% des emplois), mais que ce secteur est en mauvaise posture notamment dans le Grand Sahel – en raison de l’appauvrissement des sols et des effets du changement climatique. Pour rappel, l’augmentation de la production agricole afin de faire face aux objectifs d’autosuffisance alimentaire, notamment dans un contexte de croissance démographique galopante dans la région, nécessiterait d’augmenter soit les surfaces cultivées, soit les rendements par hectare. Mais malheureusement, la croissance de la production agricole sur le continent s’est plutôt faite par l’extension (en taille et/ou en nombre) des exploitations agricoles de 1960 jusqu’alors, donc au détriment des forêts (perte d’environ 90% des forêts en Côte d’Ivoire entre 1960 et 2020 liée à la cacaoculture principalement). L’alternative à cette agriculture dite extensive semblerait donc être l’agriculture intensive qui nécessite quant à elle l’utilisation d’intrants chimiques, ou encore le recours massif aux techniques d’irrigation. Mais ces pratiques culturales sont aussi néfastes à l’environnement (pollution de la ressource en eau, appauvrissement des sols, perte de biodiversité), sans oublier les effets sur la qualité des aliments (source d’obésité et d’anémie). Comme alternative à l’agriculture extensive et à l’agriculture intensive dans la région, les auteurs présentent une troisième voie qui soit à la fois résiliente aux effets du changement climatique et pro-environnementale. Il s’agit de l’agroécologie qui se définie justement comme l’application des principes de l’écologie à l’agriculture pour assurer une production de façon durable et en quantité optimisée. Même si elle ne permet pas encore d’atteindre les rendements de l’agriculture utilisant de grandes quantités d’intrants chimiques, l’agroécologie affiche déjà des niveaux de rendement largement supérieurs à ceux des pratiques culturales classiques en Afrique. En effet, au Sénégal, les exploitations avec une forte intégration de ces pratiques agroécologiques connaissent déjà une augmentation des rendements de plus de 52% pour les céréales par rapport à l’agriculture extensive ou traditionnelle (Levard et Mathieu, 2018), sans oublier l’extension de la durabilité de la production des parcelles. De plus, l’agroécologie garantit des revenus plus importants pour les producteurs (prix des produits plus élevés avec la certification par exemple et baisse des coûts de production car moins d’intrants). Les auteurs ajoutent que l’agroécologie s’adapte mieux au changement climatique (augmentation de la teneur en carbone des sols et de la capacité de la rétention en eau) et contribue à la réduction de la pollution de l’environnement (usage limité des intrants surtout). Cependant, la diffusion de cette pratique culturale reste encore freinée par le faible soutien de la part des autorités publiques aux agriculteurs, les problèmes de disponibilité en fumure organique, l’absence de formation pour les agriculteurs, l’aversion au risque des agriculteurs et les contraintes de crédit ; d’où la nécessité de coordination entre l’ensemble des acteurs intervenant dans ce secteur.
Enfin, quant à l’épineuse question de l’émergence de l’Afrique, l’ouvrage montre que la plupart des définitions retenues à l’échelle internationale mettent encore les pays africains à l’écart, à l’exception des trois principales économies du continent (l’Afrique du Sud, l’Egypte ou encore le Nigéria). Cependant, la prise en compte des indicateurs de développement, des critères sociaux et des critères de gouvernance et de qualité des infrastructures pourrait être utile afin d’identifier déjà les potentiels pays émergents de demain en Afrique. Toutefois, l’émergence de l’Afrique comme entité (forte de son dividende démographique, de la complémentarité de ses économies, de sa ZLECAf et surtout de sa gouvernance à l’échelle continentale avec l’UA notamment) semblerait être encore plus probable que l’émergence des pays de l’Afrique pris séparément. Ensuite, en ce qui concerne les questions liées à l’essor du secteur privé en Afrique, les auteurs rappellent que les entreprises privées africaines se caractérisent surtout par un niveau d’informalité assez élevé, et sont de taille et de niveau de productivité très faible. Parmi les difficultés rencontrées par celles-ci, les auteurs mentionnent la rareté et la mauvaise allocation des facteurs (travail et capital), le faible niveau de formation, les problèmes de gestion et surtout d’infrastructures énergétiques, de transport et de communication (faible gouvernance publique). Les auteurs proposent donc l’adoption des réformes visant le renforcement de l’administration publique et des organisations professionnelles (organisations patronales, syndicats de producteurs, chambres de commerce ou de métiers etc.) et l’application des politiques de soutien à la création d’entreprise. L’ouvrage fait aussi mention de la persistance de la grande précarité des conditions de travail chez les jeunes et les femmes à travers le continent (très peu d’emplois décents). Pour finir, les auteurs font remarquer la prédominance des régimes de change fixe à travers le continent malgré la forte vulnérabilité de la plupart des pays aux chocs de terme de l’échange. Selon eux, cela s’expliquerait en partie par le faible niveau de développement des systèmes bancaires de ces pays qui entraverait l’efficacité d’un régime de change flexible.
Alpha Ly, doctorant « Transition énergétique bas-carbone en Afrique subsaharienne et dans la région MENA ».
[1] L’économie africaine 2021, Agence française de développement (AFD), éditions « La Découverte », collection « Repères »