Hélène Périvier est économiste à l’OFCE de Sciences Po et directrice du programme PRESAGE, Programme de Recherche et d’Enseignement des Savoirs sur le Genre. Dans son ouvrage, L’économie féministe : Pourquoi la science économique a besoin du féminisme et vice versa [1], elle étudie l’économie sous le prisme de l’égalité des genres. Il s’agit d’un « puissant plaidoyer pour une économie politique féministe » selon Thomas Piketty qui préface le livre.
L’ouvrage s’organise en trois grands axes : (1) la pensée économique sous le prisme de l’égalité des genres, (2) le féminisme comme outil critique de la science économique, (3) l’économie comme outil pour promouvoir l’égalité des genres.
Les grands courants de l’histoire de la pensée dans le contexte de l’égalité des genres témoignent de la transversalité de la pensée féministe. L’économie féministe ne se restreint donc pas à une méthodologie ou une école de pensée particulière et la posture normative qui consiste à soutenir l’égalité des sexes est transversale. Les économistes Mill, Engels ou Veblen, par exemple, ont dénoncé les inégalités des sexes au sein de leur mouvement, libéralisme, socialisme et institutionnalisme respectivement. Mill, par exemple, défend l’égalité des individus quel que soit leur origine ou leur sexe, dans l’idée que le libéralisme permettra d’atteindre cette égalité.
On retient de l’histoire que « l’économie a été construite par des hommes, pour être au service d’une société dirigée par les hommes ». Les fondements théoriques et les axes de recherche ne sont pas neutres et comportent des biais masculins que l’approche féministe peut révéler et critiquer. Hélène Périvier nous rappelle que ce sont surtout des femmes qui ont réfléchi sur les conditions de vie des femmes de leur époque à l’instar de trois économistes femmes françaises, Fora Tristant, Julie Victoire Daubié et Clémence Royer, dont le travail est présenté. Le lecteur apprend par exemple que Flora Tristan a développé l’idée d’une association internationale d’organisation ouvrière pour la lutte des classes, avant Marx et Engels. L’économie féministe renforce la rigueur de l’économie en tant que science en élargissant le champ des controverses et en réduisant l’emprise des biais sexistes et essentialistes.
Enfin, l’économie apporte des outils d’analyse pour documenter, comprendre et combattre les inégalités de genre. Sur le sujet des femmes et du travail par exemple, il faut distinguer le travail domestique, autrement appelé travail reproductif ou familial, du travail salarié. L’identification et la quantification du travail reproductif est un enjeu majeur car les femmes exercent une grande partie du travail domestique, ce qui les pénalise sur le marché du travail salarié. Pour répondre à cet enjeu, l’économie empirique offre des outils et des techniques utiles afin d’évaluer l’ampleur des inégalités et des discriminations. La division sexuée des rôles au sein de la sphère familiale conduit à une discrimination des femmes dans le marché du travail salarié. En apportant un socle théorique et empirique pour évaluer l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir, l’économie est clé pour promouvoir l’égalité des sexes.
A la lecture de son œuvre, le lecteur comprend l’importance d’assumer les biais sociaux, culturels et politiques dans lesquels se développe l’économie. Hélène Périvier soutient une plus grande transparence des intentions normatives de l’économie, insistant que cela ne réduit pas l’objectivité de cette science sociale. En d’autres termes, l’économie doit devenir une science en lutte contre les inégalités des genres. En élargissant le scope de l’ouvrage à un autre enjeu de nos sociétés, le lecteur peut faire le raisonnement parallèle concernant le changement climatique. Face aux enjeux sociaux et climatiques, il est essentiel que l’économie assume pleinement son rôle d’économie politique. « L’enjeu est alors de proposer une articulation entre l‘Etat social, le marché et la société civile, porteuse d’émancipation et d’égalité » tout en restant au sein de ses limites planétaires.
Marie Raude, Doctorante, Analyses des comportements de couverture contre le risque des acteurs de l’EU-ETS : une approche économique et financière.
[1] Périvier, H. (2020). L’économie féministe. Presses de Sciences Po.