Les agriculteurs ont la Terre entre leurs mains [1], écrit par Paul Luu, ingénieur agronome et Secrétaire Exécutif de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 », expose les grands principes du cycle du vivant, examine le développement des systèmes agricoles contemporains et explique les différences entre les modes d’agricultures qui cohabitent aujourd’hui.
« Faire le point simplement et objectivement » et « donner les moyens de tout un chacun de comprendre les enjeux sans éluder les questions qui dérangent parfois », voici les ambitions de ce livre tel que le décrivent Stéphane Le Foll, Ibrahim Assane Mayaki et Gabrielle Bastien dans leur préface commune.
Parole tenue ?
Le propos de Paul Luu s’ouvre sur un constat amer. Produire pour manger est vital mais la manière dont nous le faisons actuellement paraît insoutenable. Afin de répondre à une demande toujours plus grande et pour se libérer des contraintes naturelles, nous avons instauré une agriculture dopée – dopée aux apports chimiques (engrais, herbicides, pesticides), à l’irrigation (70% de l’eau douce de la planète étant utilisée en agriculture), au travail du sol et à la mécanisation. Les productions se sont intensifiées, spécialisées, et localisées.
En conséquence, la FAO estime que 75% des sols de la planète sont particulièrement dégradés et pourraient être impossibles à cultiver dans les prochaines décennies. Les biodiversités des sols, des eaux, des animaux et des végétaux ont été impactées dans des proportions inestimables et dans une échelle de temps particulièrement courte.
Le tableau ainsi dressé ne prend même pas en considération la principale menace : le changement climatique. L’agriculture (et la forêt) est à la fois en partie responsable, victime et solution du problème. Responsable d’environ 25% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, dû au protoxyde d’azote (N2O) venant de l’épandage de fertilisant, au méthane (CH4) provenant de l’élevage et au dioxyde de carbone (CO2) lié à la mécanisation et aux transports. L’agriculture est une victime évidente de l’accroissement des épisodes de sécheresse, des dégradations de conditions de croissance et de l’occurrence d’autres aléas extrêmes. Enfin, elle est aussi partie intégrante de la solution par les volumes de captation du CO2 atmosphérique que sa biomasse réalise (champs, prairies et forêts).
Il est nécessaire de produire mieux, c’est-à-dire d’augmenter l’efficacité de l’utilisation de nos intrants afin d’en réduire leur usage, d’adopter une gestion bien plus durable de l’utilisation des sols et d’amorcer une dynamique de captation croissante du CO2 atmosphérique, le tout en fournissant un volume de denrées alimentaires suffisant pour nourrir 8 (et bientôt 10) milliards d’individus et à des prix abordables.
Sur une dizaine de pages, Paul Luu retrace l’évolution de nos modes d’agricultures. De la sédentarisation et la domestication des animaux à la promotion de l’agriculture dîtes « de précision », en passant par les révolutions agricoles et la « révolution verte », l’auteur souligne l’importance de certaines grandes innovations et la corrélation entre volume de production agricole et croissance démographique.
Secrétaire exécutif de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 », Paul Luu insiste tout au long de ces 130 pages sur l’importance primordiale des sols. Source de fertilité, de biodiversité et de captation du carbone, l’intérêt qu’il leur est aujourd’hui porté n’est pas à la hauteur du rôle qu’ils tiennent. L’Initiative « 4 pour 1000 » vise à promouvoir l’utilisation de meilleures pratiques de gestion des sols car, selon les estimations réalisées : « si l’on parvenait, chaque année, à l’échelle de la planète, à augmenter le stock de carbone des sols de seulement 0,4% [= 4 pour mille] dans les 40 premiers centimètres, cela pourrait théoriquement compenser les émissions nettes de carbone liées aux activités humaines durant cette même année » (p.66).
Le défi sera donc de maintenir l’espace aujourd’hui destiné à l’agriculture, voire d’en restaurer une partie afin d’accroître nos capacités de stockage du carbone. Ainsi produire mieux sur un espace défini passera nécessairement par une transformation de notre processus productif et par l’adoption des grands concepts de « l’agroécologie ».
Cette expression, largement employée dans le débat public, n’est autre qu’un terme générique qualifiant les pratiques visant à accroître les interactions naturelles (nature-végétal-animal-humain). La FAO a ainsi dressé un ensemble de 13 grands « principes agroécologiques » (p.72) étant plus ou moins promus dans les différents types d’agriculture comprise dans ce grand ensemble (agriculture de conservation, biologique, régénératrice, agroforesterie…).
Dans une dernière partie de son livre, Paul Luu s’attarde ainsi à définir l’histoire, les concepts, les avantages et inconvénients de ces différentes modalités d’agriculture en veillant bien à chiffrer et illustrer son propos à l’aide d’exemples concrets. Cette section, particulièrement informatrice sur l’essor et les fondements de ces différentes pratiques agricoles (par ailleurs souvent confondues par le grand public), se conclut sur le constat qu’aucune forme d’agriculture n’est à elle seule la réponse à tous les défis à venir. En revanche, un constat est clair : les agriculteurs ont un rôle déterminant à jouer. De moins en moins nombreux, souvent stigmatisés et travaillant dans des conditions toujours plus difficiles, les agriculteurs nourrissent la population et façonnent les paysages. Les accompagner, les soutenir et les informer sont donc les meilleurs moyens de contribuer à ces nécessaires transformations. Ainsi, entreprises, recherche, politiques et consommateurs ont tous leur rôle à jouer.
Parole tenue.
Ce livre répondra aux attentes de tout lecteur en recherche d’informations claires, synthétiques et fiables. Le propos n’est ni trop technique ni trop militant. Il n’est en rien révolutionnaire mais a le mérite de faire un bilan lucide : d’où vient notre modèle agricole ? Sur quoi repose-t-il ? Quels défis doit-il relever ? Quelles orientations peut-on prendre ?
L’agriculture, la forêt et le sol (particulièrement mis en avant ici), sont des éléments clés de la lutte contre le changement climatique. Représentant le volet « carbone vivant » des politiques environnementales, ils nécessitent une appréhension des cycles naturels et des interactions entre l’Homme et son environnement que notre voie de développement a particulièrement dénaturé. En revanche, des solutions existent, et ce type de livre contribue à nous les rappeler de manière lucide et éclairée.
Richard Koenig, Doctorant, L’assurance récolte comme outil d’adaptation et d’atténuation dans un contexte de changement climatique.
[1] Paul Luu avec Maric Christine Bidault (2022), Les agriculteurs ont la Terre entre leurs mains , Editions la Butineuse, 128p.