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La Chaire a lu pour vous L’Evènement Anthropocène : la terre, l’histoire et nous de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz

Publié le 28 avril 2020

L’Anthropocène (« l’Ere des Humains ») désigne l’ère géologique récente, succédant à l’Holocène qui recouvrait les dix derniers millénaires. Elle prend acte du nouveau statut de l’humanité en tant que force tellurique. Popularisé par le chimiste Paul Crutzen en 2000, cette nouvelle ère trouve son origine dans la première révolution industrielle et se caractérise par les évolutions exponentielles de la démographie et de la croissance économique depuis le XIXe siècle qui ont mené aux actuels changement climatique et effondrement de la biodiversité.

Dans L’Evenement Anthropocène [1], les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz proposent une critique du principal récit qui s’est articulé autour de l’Anthropocène. En effet, l’humanité y est décrite comme une force homogène pressurisant la biosphère. Les auteurs voient dans ce récit une vision dépolitisante, occidentale, mais aussi historiquement discutable. Plus encore, ce récit de l’Anthropocène met en avant une Humanité admettant enfin son pouvoir de destruction. Grace à cette réflexivité environnementale, elle peut alors se donner les moyens d’enrayer les crises écologiques, en convertissant les forces du progrès et de la modernité au développement durable.

Afin de pallier aux limitations de cette définition de l’Anthropocène, les auteurs proposent une succession de sept récits alternatifs de l’Anthropocène. Complémentaires, chacun de ces récits s’articule autour d’un concept particulier : acteur économique, processus sociopolitique, courant intellectuel, mobilisation sociale. Les auteurs décrivent les moteurs principaux de l’Anthropocène, avec l’histoire du secteur des énergies fossiles (Thermocène), la dynamique du capitalisme (Capitalocène) et du consumérisme (Phagocène) et le rôle historiquedu complexe militaro-industriel (Thanatocène). Ce dernier, bien que moins attendu, a pourtant un rôle majeur de par ses destructions massives d’écosystèmes (collatérales ou volontaires) et par le développement des technologies les plus émettrices, qui ont par la suite diffusé dans le reste du système économique. D’autre part, les auteurs consacrent plusieurs fils conducteurs à ce qui aurait pu freiner la marche de l’Anthropocène avec les réflexions critiques des moteurs de l’Anthropocène (Phronocène), les luttes sociales contre ceux-ci (Polémocène). Enfin, un récit sur l’histoire des idéologies qui ont permis de marginaliser ces contestations (Agnocène) est proposé.

A la fois universitaire et engagé, cet ouvrage alerte sur les dangers d’une vision désincarnée de l’Anthropocène. Il démontre qu’en plus de marquer un point de non-retour, l’avènement de l’Anthropocène n’est pas accidentel. Il est la résultante sur plusieurs siècles non seulement d’une multitude de rapports de force entre nations, secteurs économiques et groupes ethniques et sociaux, mais de choix politiques conscients malgré les alertes. Les auteurs invitent ainsi à la réflexion sur les modes d’actions face aux crises écologiques ayant intégré sérieusement l’ensemble des chemins qui ont mené à l’Anthropocène.

Quentin Hoarau, doctorant « Politiques environnementales dans le secteur automobile »


[1] Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, « L’Evènement Anthropocène : la terre, l’histoire et nous », Points, 2016.