Les questions minérales font un retour remarqué dans l’actualité. En Europe, mines et métaux ont été malencontreusement « rangés dans le placard de l’histoire industrielle ». La transition énergétique et les nouvelles dépendances qu’elle engendre viennent fracturer la porte de ce placard oublié. L’effraction est violente : sommes-nous en train de troquer la dépendance aux énergies fossiles pour une dépendance aux métaux ? Nous avons collectivement vécu dans l’illusion d’une offre de métaux abondante, assurée par un secteur concurrentiel et ne présentant pas d’enjeux géoéconomiques. La prise de conscience est brutale : les questions géostratégiques, économiques et industrielles soulevées par l’extraction et la transformation des matières premières sont un angle mort de la transition énergétique.
Ces questions sont au cœur de l’ouvrage Métaux, le nouvel Or Noir [1] proposé par Emmanuel Hache et Benjamin Louvet. Expert académique, le Dr. Hache mène depuis une dizaine d’années des travaux de recherche sur le sujet. Il a notamment dirigé le récent projet GENERATE Géopolitique des Energies Renouvelables et Analyse prospective de la Transition Energétique financé par l’Agence Nationale de la Recherche. Gérant d’actif spécialisé dans les matières premières, Benjamin Louvet apporte le regard du praticien.
Ce croisement de points de vue donne un plan limpide. Après une première partie qui rappelle l’impératif climatique et présente de manière synthétique les enjeux de la transition énergétique, la seconde partie entre dans le vif du sujet. Les auteurs y discutent d’abord l’ampleur des besoins soulevés par la transition et la prise de conscience du caractère stratégique de certaines matières premières. Ils se plongent ensuite dans les méandres des chaines de valeur de l’industrie minière et métallurgique. Si les contraintes géologiques – les sempiternelles questions liées à la dotation en ressources – sont bien évidemment discutées, il faut saluer la vision des auteurs qui défendent une conception élargie de la notion de criticité des matériaux. Pour eux, celle-ci intègre nécessairement des enjeux industriels, environnementaux et géostratégiques. Enfin, les auteurs nous invitent à regarder au-delà des inventaires géologiques et à considérer les goulets d’étranglement qui contraignent le développement des nouveaux projets miniers.
La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse aux implications économiques, géostratégiques et environnementales de la transition vers les technologies bas carbone. Du point de vue économique, le supplément de demande qu’elle occasionne fait grimper les prix sur les marchés des principaux métaux et renchérit les coûts de fabrication des technologies bas-carbone. Ces effets inflationnistes sont néanmoins à mettre en regard des coûts de l’inaction climatique. Du point de vue géostratégique, la transition devrait s’avérer favorable aux grands pays miniers (Australie, Canada, le triangle du lithium Argentine-Bolivie-Chili), dans l’Asie Pacifique (Chine, Indonésie, Thaïlande, Vietnam, Birmanie) et les économies africaines dotées d’un potentiel géologique (notamment en Afrique subsaharienne). Cependant, il y a « loin de la coupe aux lèvres » et l’ouvrage discute la capacité de ces économies à transformer cette dotation géologique en un décollage soutenable. Cette partie est aussi l’occasion de discuter deux sujets brulants : (i) les ambitions chinoises et rôle prépondérant de la Chine dans l’aval de la chaîne de valeur, et (ii) le devenir de l’exceptionnel potentiel minier russe. Les répercussions sur les relations internationales dans un contexte de rivalités géostratégiques ne sont pas éludées. Les auteurs discutent également la tentation de la cartellisation pour les pays miniers. Du point de vue environnemental, le livre passe en revue les multiples empreintes environnementales des activités minières. Même motivés par la transition bas-carbone, l’essor des nouveaux projets miniers va générer des externalités.
Face à ces bouleversements, les auteurs tirent plusieurs conclusions. Pour les pays importateurs, le recyclage apparaît comme un impératif stratégique mais il reste handicapé par son coût et les incertitudes sur le potentiel de la filière. Ce constat conduit les auteurs à considérer des politiques visant à modérer la demande. Du point de vue géopolitique, la question minérale est un nouveau terrain où s’exprime l’antagonisme entre les USA et la Chine et l’ouvrage passe en revue les stratégies mises en œuvre par les deux géants.
La conclusion du livre est l’occasion de discuter la singularité de la position européenne et insiste sur les carences françaises. Du fait d’une dotation géologique défavorable, la dépendance du continent est difficilement contournable mais les auteurs font aussi le constat de nombreuses erreurs stratégiques et déplorent l’absence de vision géostratégique au sein de l’UE. Sur une note plus positive, le livre souligne atouts de l’UE (notamment ses capacités financières et technologiques). Suffiront-elles ?
La grande force de cet ouvrage réside dans ses qualités pédagogiques. Si le style vif et enlevé rend la lecture plaisante, la rigueur du propos précis et documenté montre qu’il est possible de s’adresser au plus grand nombre en gardant les standards académiques chevillés au cœur. Le lecteur affuté aurait peut-être souhaité que l’ouvrage détaille davantage les politiques industrielles susceptibles de favoriser l’essor du recyclage ou les options européennes (notamment en matière de positionnement industriel ou géostratégique). Cependant, ces sujets émergents font actuellement l’objet de recherche et ces omissions n’affectent pas les qualités de l’ouvrage. Bref, nous avons affaire à un ouvrage intéressant, bien réalisé et qui donne matière à réfléchir sur un sujet majeur mais trop longtemps ignoré. Souhaitons-lui de trouver un public large, il le mérite amplement !
Olivier Massol, Professeur de Sciences Economiques, IFP School – ENSPM Responsable du Programme CEC Transitions Energétiques
[1] Hache, E. et Louvet, B., Métaux, le nouvel Or Noir, Ed. du Rocher, pp 240.