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La Chaire a lu pour vous Not Too Late: Changing the Climate Story from Despair to Possibility

Publié le 12 juillet 2024

Rebecca Solnit est une autrice, historienne et activiste américaine reconnue pour ses écrits sur l’environnement, la politique et la justice sociale. Elle est particulièrement connue pour son style littéraire qui allie des éléments narratifs, des réflexions personnelles et des analyses culturelles et politiques profondes. En tant qu’activiste, Rebecca Solnit a été une voix majeure dans les mouvements féministes et environnementaux, utilisant sa plume pour dénoncer les injustices et inspirer l’action collective. Son travail a été largement reconnu et primé, notamment par la fondation Guggenheim et le prix littéraire Lannan.

Thelma Young Lutunatabua est une activiste et “digital storyteller” sur plusieurs réseaux sociaux, dédiée aux questions de justice climatique et sociale. Elle a travaillé avec plusieurs organisations internationales, dont 350.org, où elle a joué un rôle clé dans la conception et la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation au climat à travers le monde. Originaire des îles Fidji, elle met en avant les voix des communautés marginalisées, les luttes et les succès de la résistance climatique. Sa capacité à fusionner les récits personnels avec des enjeux globaux fait d’elle une figure influente dans le mouvement pour la justice climatique.

Dans Not Too Late: Changing the Climate Story from Despair to Possibility [1], Rebecca Solnit et Thelma Young Lutunatabua offrent une compilation protéiforme d’essais de journalistes, scientifiques et activistes, d’interviews, de citations et de réflexions, qui s’articulent tous autour d’une même question à laquelle fait face – peut-être plus que jamais – toute personne travaillant ou s’engageant au quotidien sur les enjeux climatiques : quel chemin trouver entre les écueils d’un défaitisme désabusé, d’un optimisme naïf, ou d’un refoulement contreproductif ?

Au delà d’une exposition des conséquences concrètes de la crise climatique, cet ouvrage propose une mosaïque d’expériences subjectives, éclairée d’essais plus philosophiques. Que l’on se laisse plutôt convaincre, ou plutôt persuader, l’ouvrage remplit sa mission et redonne avec force l’espoir et l’envie de passer à l’action. S’ouvrant sur un propos introductif efficace et percutant (qui se suffirait presque à lui-même), Not Too Late propose ensuite, dans ses trois sections principales, un panorama complet des défis et des solutions liés au climat, ainsi que des cadres moraux et émotionnels pour aborder ces questions.

La première section (« We Have the Solutions ») se concentre sur les approches pragmatiques pour combattre le changement climatique, en identifiant plusieurs solutions déployables dès maintenant. Des solutions technologiques d’abord, comme les énergies solaire et éolienne, qui permettent d’envisager l’abandon des combustibles fossiles. Mais également de solutions juridiques et diplomatiques (avec le témoignage d’un négociateur aux Accords de Paris) ou encore sociétales, lorsque plusieurs communautés micronésiennes sont présentées comme sources d’inspiration possibles. Ces essais mettent souvent l’accent sur l’importance de l’activisme et de l’engagement communautaire, montrant comment les mouvements et communautés “en première ligne” des crises écologiques ont réussi à influencer les politiques climatiques et à promouvoir des modèles durables.

La deuxième section, « Frameworks of Possibility », aborde les aspects moraux et émotionnels de la crise climatique, en explorant comment la psychologie, l’éthique et la culture peuvent soutenir ou entraver l’action climatique. Les articles de cette section examinent tour à tour l’impact émotionnel et psychologique de la crise climatique, et des cadres éthiques et culturels pour comprendre et agir face à cette crise. Sont ainsi d’abord identifiés et décrits les sentiments de désespoir, de peur et de perte ressentis par ceux qui sont engagés dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que les stratégies pour transformer ces émotions en motivations positives. Les réflexions sur la manière de gérer le deuil et l’angoisse liés à la destruction environnementale notamment, sont particulièrement poignantes. 

Mais c’est surtout l’importance d’adopter une perspective éthique et culturelle sur le climat qui est soulignée, en insistant sur la justice climatique, les droits des peuples autochtones et la nécessité de repenser notre relation à la nature et à la consommation. Ces essais plaident ainsi pour une vision intégrée de la justice sociale et environnementale, où les actions pour le climat sont également des actions pour l’équité et la justice.

Après avoir démontré sa faisabilité technique, et détaillé le plan de route vers la création d’un récit politique autour de la lutte contre le changement climatique, l’autrice se lance dans un exercice de prospective, visant à peindre les futurs souhaitables. Elle offre au lecteur les visions positives et inspirante d’un monde post-fossile. Plusieurs contributions prennent la forme de récits utopiques où les communautés humaines vivent en harmonie avec la nature, utilisant des technologies propres et des pratiques durables pour assurer un avenir prospère. Jouant toujours simultanément sur le logos et le pathos, ces visions s’envisagent également comme des plans, des projets, offrant les descriptions détaillées de sociétés qui ont réussi à éliminer les émissions de carbone tout en créant des économies florissantes et justes. D’autres contributions choisissent elles de mettre en lumière des initiatives et des projets actuels qui démontrent que des changements positifs sont déjà en cours. Ces récits inspirants montrent comment des politiques innovantes, des mouvements sociaux dynamiques et des technologies propres peuvent transformer notre monde, illustrant que l’avenir que nous souhaitons est non seulement possible, mais déjà en construction.

En conclusion, Not Too Late est un manifeste efficace pour mobiliser autour du nouvel enjeu climatique de notre époque : non plus convaincre de la réalité du changement climatique, mais convaincre de l’intérêt, de la nécessité d’agir, sans baisser les bras, quelle que soit l’actualité ou les tendances passées. Les autrices présentent ainsi un recueil accessible, agréable à lire, qui combine une réflexion sur l’action et le vécu face à l’angoisse climatique. Entre récits inspirants et solutions concrètes, elles parviennent à tracer ce chemin de crête si ténu qu’est l’équilibre entre l’urgence, l’ampleur de la crise, et le regain d’espoir et d’action. Par le biais de contributions variées et profondes, ce livre offre une feuille de route pour une transition juste et durable, tout en soulignant que la réussite dépendra de notre capacité à mobiliser et à agir collectivement, en intégrant des valeurs de justice et de solidarité dans notre combat pour le climat.

Celles et ceux qui chercheront dans cet ouvrage une nouvelle analyse rigoureuse et exhaustive des dommages climatiques ou des solutions possibles seront déçus. Car un manifeste n’a pas vocation à atteindre la précision d’un manuel d’économie. Mais il apporte une voix forte et motivante, sous la plume de Rebecca Solnit, un vent de fraîcheur plus que bienvenu pour qui s’intéresse à la crise climatique. Pour qui, dans son travail ou comme citoyen, est amené à questionner le sens, l’impact, la nécessité de ses actions. Qui sait? Peut-être cet ouvrage arrive-t-il juste à temps pour faire naître, parmi toutes  les formes d’engagements possibles, de nouvelles vocations d’économistes du climat ?

Louis Soumoy, doctorant LGI

[1] Solnit, R. et Young Lutunatabua, T., (2023). Not Too Late: Changing the Climate Story from Despair to Possibility,  ed. Haymarket Books, pp 232.