Club de lecture

La Chaire a lu pour vous Power and Progress, Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity de Daron Acemoglu et Simon Johnson

Publié le 25 septembre 2023

Power and Progress [1] est le troisième livre écrit conjointement par Acemoglu et Robinson. Leurs deux précédents ouvrages (« Why Nations Fail », « The Narrow Corridor ») ont tous deux été des best-sellers. Leurs deux premiers ouvrages affirmaient que les différences entre les systèmes politiques, tels que la démocratie et le communisme, pouvaient expliquer pourquoi certains pays étaient plus productifs que d’autres. Ce nouveau livre cherche à répondre à une question plus ambitieuse : pourquoi la situation de certaines personnes se dégrade-t-elle avec l’introduction d’une technologie plus productive ? Après tout, le progrès technologique devrait améliorer le niveau de vie de tout le monde ! En d’autres termes, pourquoi les inégalités se sont-elles accrues malgré la mise en place de systèmes politiques adéquats tels que la démocratie ?

Les auteurs suggèrent que la vision du progrès et l’activisme des travailleurs sont des déterminants clés du niveau d’inégalité dans une société. Par exemple, si la vision que nous avons de l’innovation est l’automatisation, celle-ci mettra au chômage les travailleurs les moins qualifiés. Cette innovation augmentera la productivité moyenne de l’économie puisque le même travail pourra être effectué par moins de personnes. Néanmoins, elle n’utilisera pas toute la main d’œuvre à disposition. Une meilleure vision de l’innovation consisterait à stimuler la productivité en rendant chaque travailleur plus productif, ou en créant de nouveaux emplois ne pouvant pas être automatisés. Les chemins de fer du XIXe siècle en sont un bon exemple : ils ont non seulement rendu les transports plus efficaces, mais ils ont aussi créé de nouveaux emplois dans des secteurs tels que l’acier, la chimie et l’énergie.

L’activisme des travailleurs est également important pour déterminer comment les gains de l’innovation seront partagés entre les détenteurs de capital et les travailleurs. Il ne faut pas s’attendre à ce que le progrès technologique profite mécaniquement à toutes les classes sociales de manière égale. La manière de partager les gains est toujours un choix. Un exemple illustrant ce dernier point est la révolution industrielle. Elle a inauguré une nouvelle ère de progrès, mais les gains ont été concentrés pour une poignée de détenteurs de capital et non pour les travailleurs, qui ont été relégués à des conditions de travail pitoyables et à de faibles salaires. De même, malgré les progrès considérables réalisés depuis le Moyen Âge dans les techniques agricoles – par exemple, le développement de meilleures charrues, la rotation des cultures et l’amélioration des moulins – le niveau de vie des agriculteurs ne s’est pas amélioré. L’introduction de l’égrenage du coton, tout en augmentant la production de coton, a également renforcé l’exploitation des travailleurs esclaves aux États-Unis au XIXe siècle.

Les auteurs affirment que l’inégalité actuelle aux États-Unis depuis les années 1980 est due au fait que les technologies numériques sont exclusivement axées sur l’automatisation. Parmi les exemples qui existent, on peut citer les caisses automatiques et les logiciels d’intelligence artificielle qui remplacent les radiologues pour déterminer les cancers à partir des radiographies. En raison de l’automatisation, seules les professions qualifiées ayant suivi une formation universitaire sont en mesure de survivre sur le marché du travail. À cela s’ajoute le fait que les syndicats se sont affaiblis depuis les années 1980, ce qui a entraîné une baisse significative des salaires.

Adam Smith pensait que de meilleures machines entraînaient des salaires plus élevés. Toutefois, cela n’est vrai que dans un monde parfaitement concurrentiel où les travailleurs sont payés à leur valeur marginale. Dans le monde réel, les salaires sont négociés entre les détenteurs de capital et les travailleurs, et leurs pouvoirs de négociation relatifs sont importants pour la détermination des salaires.

Les révolutions actuelles dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) représentent en fait un gain de productivité « moyen », car elles se concentrent sur l’automatisation, mais n’augmentent pas la productivité pour tout le monde. Un exemple récent est celui de Chat-GPT qui peut produire un code bien écrit en réponse à un énoncé de problème, réduisant ainsi le besoin de développeurs de logiciels.

Les auteurs saluent les progrès de l’activisme en matière de changement climatique et suggèrent que le secteur numérique pourrait s’en inspirer. Ils expliquent comment le mouvement pour le climat a commencé par modifier le discours sur la pollution, jusqu’alors dominé par les grandes compagnies pétrolières qui niaient les effets polluants de leurs activités. Des organisations comme Greenpeace ont lancé des campagnes d’éducation au début des années 1990. Le film d’Al Gore « Une vérité qui dérange », sorti en 2006, a également contribué à faire connaître le problème. Par la suite, des partis verts sont apparus dans plusieurs pays et ont fait pression sur les gouvernements. Plusieurs grèves dans les écoles ont été organisées en 2019. Enfin, les gouvernements et les compagnies pétrolières ont été poussés à prendre des mesures concrètes telles que la mise en place d’une taxe carbone et de réglementations environnementales, ainsi que le soutien à la recherche et au développement. Les auteurs espèrent qu’un activisme similaire pourra faire contrepoids aux dirigeants des grandes entreprises technologiques et contribuer à répartir équitablement les bénéfices du progrès.

Selon moi, le secteur des énergies renouvelables se trouve actuellement à un tournant décisif. La vision de ses dirigeants déterminera si les gains de l’innovation seront inclusifs ou s’ils seront réservés à quelques personnes puissantes. Le coût de production de l’énergie solaire et éolienne a considérablement baissé récemment et les détenteurs de capital de ces technologies ont bénéficié de rentes infra-marginales en raison de la fixation du prix par la technologie la moins efficace, soit le gaz. Les véhicules électriques peuvent potentiellement créer de nouveaux emplois dans l’industrie du lithium ou de l’électronique. La vision des dirigeants de l’industrie déterminera en fin de compte le rôle qu’elle jouera dans l’économie d’un pays.

Avishek Deb, Chargé de recherche stagiaire, La communication des chercheurs: le cas de Twitter.

[1] Acemoglu, D. et Johnson, S., Power and Progress: Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity, Ed. Basic Books, pp.560.