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La Chaire a lu pour vous The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson

Publié le 21 novembre 2022

L’auteur de science-fiction Kim Stanley Robinson nous plonge dans un futur très proche, de 2025 à 2050 environ, dans son roman The Ministry for the Future [1] . Le livre s’ouvre immédiatement sur une scène horrifique : une vague de chaleur d’intensité inouïe étouffe littéralement des millions de personnes en Inde. Pour autant, ce roman de 103 courts chapitres sur le changement climatique ne rentre pas dans la catégorie des dystopies. L’auteur réussit l’exploit de délivrer le récit d’un futur relativement optimiste tout en restant crédible. En suivant le devenir d’une nouvelle institution mondiale, le Ministère pour le futur, au travers de sa directrice Mary Murphy et d’un humanitaire traumatisé par la canicule indienne, Franck May, nous abordons une multitude de mutations qui repositionnent le monde sur une trajectoire plus durable. Pour y aboutir, de très nombreuses transformations sont testées ou discutées sur les plans politiques, technologiques, économiques et sociaux.

Avec pour titre « The Ministry for the Future », le ton est donné. Les changements politiques et géopolitiques sont cruciaux pour basculer vers une trajectoire de diminution des gaz à effet de serre. Le fer de lance de l’action en faveur du climat est censé être le Ministère pour le Futur. Ce Ministère est fondé en 2025 suite au constat que les premiers objectifs climatiques que s’étaient fixés les pays sont loin d’être atteints. Ainsi, les parties de la convention créent un organisme auxiliaire basé à Zurich pour implémenter l’accord de Paris, autorisé par les articles 16 et 18. Le Ministère est chargé de « représenter les futures générations de citoyens du monde » et de « défendre toutes les créatures vivantes présentes et futures qui ne peuvent pas parler pour elles-mêmes ». D’abord impuissant, le Ministère a de plus en plus d’impact et de légitimité au cours de l’histoire. Au niveau domestique, certains pays se forgent un nouveau modèle. Par exemple, l’Inde prend une place décisive dans le destin du monde. Suite à la canicule mortelle, cette nation prend une nouvelle direction : les entreprises occidentales sont expulsées du pays et un nouveau parti prend le pouvoir. La colère contre les pays développés et les pollueurs s’éveille et donne naissance à un mouvement écoterroriste (les Enfants de Kali) qui venge les citoyens victimes de dommages climatiques. Ce serait une mauvaise lecture que d’en conclure que l’auteur estime la violence nécessaire pour activer le changement. L’intention ici est plutôt de dépeindre un futur réaliste. En revanche, il n’omet pas la nécessité de recourir au sabotage. En effet, le Ministère du Futur est lui aussi doté d’une aile noire dont on ignore précisément les actions. Parmi les actes de violence, des pollueurs sont assassinés, des centrales électriques bombardées, des avions de ligne abattus, des fermes d’élevage infectées par la vache folle et les participants du forum de Davos sont retenus en otage.

La technologie est bien sûr mobilisée dans la recherche de solutions pour atténuer le changement climatique, soutenue par le Ministère. Tout d’abord, l’Inde, dans l’urgence de prévenir d’autres vagues de chaleur, décide d’aller à l’encontre des Nations Unies en déployant unilatéralement une technologie de géoingénierie solaire. Du soufre est relâché dans l’atmosphère pour faire écran à une partie des ultraviolets et ainsi baisser la température globale. En Inde toujours, qui ouvre la voie vers un autre modèle de société, de vastes champs solaires alimentent le pays en énergie. Des techniques d’agriculture régénératrice, appuyées par de la technologie (modélisation numérique de l’agriculture, « Internet des animaux », etc) permettent de nourrir le pays, tout en préservant la biodiversité et en stockant du carbone dans les sols. Au niveau mondial, des projets pharaoniques sont mis en place pour stabiliser le niveau des mers via l’érosion des glaciers. La tâche est ardue et les solutions trouvées sont de fortune et coûteuses, mais finissent par se révéler efficaces… Les eaux du pôle Nord sont colorées avec de la teinture jaune tandis qu’en Antarctique, l’eau de fonte accumulée sous les glaciers est pompée et déplacée au fond de l’océan. Les dirigeables et les bateaux solaires et à voiles remplacent les navires et avions à moteur.  Le format de roman de science-fiction se prête particulièrement bien à discuter de la gouvernance de la géoingénierie, qui est un sujet peu abordé dans le débat public alors qu’il s’agit finalement d’une issue crédible. En effet, lorsque des pays font face à des drames humains et sont acculés, comment assurer une gouvernance de la géoingénierie, qui est aujourd’hui assez unanimement décriée ? Est-il préférable de ne rien faire plutôt que de tester une solution risquée ? Un autre scénario de géoingénierie qui n’a pas été exploré dans le livre, bien que plausible, serait que ces techniques ne soient non pas imposées par les victimes du changement climatique, mais par les gagnants du système actuel qui voudraient poursuivre le scénario business-as-usual. On peut aussi regretter que le thème des terres rares n’ait pas été creusé davantage.

Enfin, le nœud du problème du changement climatique est le système économique, car des solutions d’atténuation existent mais ne sont pas mises en œuvre tant qu’elles ne sont pas rentables. Pour que les évaluations de projet prennent davantage en compte les générations futures, l’Inde fait donc le choix de revoir son taux d’actualisation, en lui donnant une forme en cloche, le sommet correspondant au présent et le taux restant très bas pour au moins sept générations à venir. Mais la solution clé, qui permet à l’auteur de rendre plausible la fin optimiste, est l’implémentation de quantitative easing climatique par les banques centrales, suite à plusieurs décennies de négociation de Mary. Il s’agit de concevoir une crypto monnaie de réserve soutenue par les principales banques centrales, et distribuée à toute organisation, personne ou Etat qui séquestre du carbone, incitant ainsi au financement de plans de transition coûteux. C’est grâce à cette innovation que les pays producteurs d’hydrocarbures acceptent de laisser inexploitées leurs richesses sans s’appauvrir. Kim Stanley Robinson s’inspire ici de l’idée exposée dans l’article scientifique « Hypothesis for a Risk Cost of Carbon: Revising the Externalities and Ethics of Climate Change”, co-écrit par Delton Chen. Le roman a d’ailleurs contribué à donner de la visibilité à cette option.

Après quelques décennies, le Ministère atteint ses objectifs. Pour éviter l’effondrement et rendre les sociétés plus équitables, il aura fallu travailler avec force de volonté sur tous les fronts en assemblant des innovations politiques, technologiques et économiques. Cependant, tout ceci se produit à la suite d’une catastrophe humaine considérable, dans une transition chaotique et lente, où la violence a joué un rôle déterminant dans l’accélération du changement.  Finalement, the Ministry for the Future ne se lit pas tout à fait comme un roman. A mi-chemin entre la science-fiction et l’essai, ce livre foisonnant d’idées est essaimé de nombreuses explications de théories économiques, d’évènements historiques, de descriptions scientifiques, de définitions et bien plus encore. Ce format permet d’illustrer la richesse des enjeux et des acteurs liés à la crise environnementale. Le lecteur pourra donc en ressortir avec une vision globale des options de la transition, et (et c’est important) de rester optimiste vis-à-vis de l’avenir qui se profile.

Léa Crépin, Doctorante Commerce du soja et déforestation importée.

[1] Robinson, Kim Stanley (2020). The Ministry for the Future. Editeur Orbit, 576 pp.