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La Chaire a lu pour vous Une monnaie écologique de Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne

Publié le 25 janvier 2021

A l’heure où le changement climatique menace nos sociétés, la réponse collective qui lui est apporté semble bien insuffisante. Chaque jour qui s’écoule sans une réaction proportionnée aux enjeux qui se dressent devant nous nous plonge davantage dans l’incertitude vis-à-vis des conséquences de la dégradation de notre environnement.

Pour Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, l’inaction des gouvernements s’explique par le manque de moyens financiers, dans un monde où la plupart des pays émetteurs de gaz à effet de serre sont déjà fortement endettés. Leur ouvrage, « Une monnaie écologique » [1], tente de nous faire découvrir les arcanes de l’économie monétaire, souvent l’apanage d’experts, et la présente comme un moyen d’éviter la crise climatique. Une première partie trace un portrait historique de cette institution particulière qu’est la monnaie, qui a façonné le système économique d’aujourd’hui. Le livre y décortique de manière pédagogique les principales théories macroéconomiques pour permettre à tous les lecteurs, avisés ou non, de comprendre l’argumentaire du changement de paradigme monétaire. On assiste ainsi à la démystification de certaines doctrines, qui entraveraient l’utilisation du potentiel de la monnaie. Dans un second temps, il propose différentes solutions pour faire évoluer le rôle des banques et des États afin de s’offrir les capacités d’entreprendre la transition écologique. Plus qu’une démonstration rigoureuse, ce second volet a le mérite de poser le débat, d’ouvrir la discussion mais surtout les esprits, dans le but de libérer la « magie monétaire » des chaines que nous lui avons progressivement imposées.

« Une monnaie écologique » dresse un constat critique et sans appel sur l’inadéquation du système monétaire actuel. Longtemps préconisée, l’austérité budgétaire a contraint les Etats dans leur moyen d’action en faveur du climat. Pourtant, la poursuite de la transition écologique nécessite des investissements colossaux pour modifier nos modes de transport, décarboner notre énergie ou encore revoir notre modèle agricole. Cette croissance verte promise à un horizon lointain se solderait dans l’immédiat par un endettement plus important. Pour éviter le dilemme de devoir « faire plus d’écologie avec moins de moyens », Grandjean et Dufrêne suggèrent dans un premier temps d’abandonner une maîtrise dogmatique de la dette publique pour rétablir une gestion rationnelle du budget et relancer les investissements.

En s’appuyant sur plusieurs exemples historiques, en premier lieu la reconstruction de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, les Trente Glorieuses en France, le New Deal américain et enfin la politique monétaire expansionniste chinoise, l’ouvrage démontre la puissance de l’outil monétaire pour relancer des économies exsangues. A l’inverse, il pointe du doigt l’inefficacité du système financier actuel pour orienter les capitaux afin de préserver des services écosystémiques inestimables. Aussi, la définition d’une taxonomie qui distingue clairement les investissements en faveur du climat des investissements « bruns » est un prérequis indispensable à l’examen qui est fait de l’économie contemporaine.

Ce livre analyse également le positionnement des Banques centrales. D’institutions au chevet de leurs Etats, leur rôle s’est progressivement effacé pour ne se concentrer que sur la stabilité des prix via la fixation des taux directeurs. Il s’agirait donc de remettre en question ce « mandat paresseux », qui fait rimer indépendance avec impuissance et qui tend à reproduire une situation inégalitaire et défavorable à l’environnement. Par leurs propos, Grandjean et Dufrêne réaffirment leur soutien à un mandat plus politique tel qu’évoqué par les deux derniers Gouverneurs de la Banque centrale européenne, Mario Draghi et Christine Lagarde. Les auteurs mettent en avant une émission monétaire ciblée vers des projets compatibles avec l’Accord de Paris sur le climat, qui permettrait non seulement de réaliser les objectifs secondaires confiés originellement à la BCE – notamment la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement – sans pour autant céder à la vision électoraliste des élus nationaux.

A la suite du recensement des défaillances de marché et des dysfonctionnements institutionnels, des politiques monétaires plus ambitieuses viennent conclure cet ouvrage. On y entrevoit les perspectives offertes par l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE en contrepartie d’investissements verts, le rôle fondamental des Banques publiques d’investissement financées par des prêts à taux nul de très long terme, la création d’une monnaie centrale libre et digitalisée accessible aux ménages et aux entreprises et l’établissement d’une monnaie de réserve internationale dans l’optique d’assister les pays moins développés dans leur transition. Si ces propositions inédites peuvent paraître fantasques de prime abord, les balayer d’un revers de main serait contraire à la logique du livre, qui interroge le caractère immuable de règles intouchables et qui milite au contraire pour une décomplexion autour de ces questions.

« Une monnaie écologique » est sans conteste une œuvre à s’approprier si l’on s’intéresse aux possibilités offertes par l’outil monétaire et aux instances qui en sont dépositaires. On pourra apprécier son approche didactique et la qualité de la synthèse des lacunes du système financier actuel pour soutenir la transition écologique. L’accent est mis sur des propositions concrètes pour y remédier en envisageant à la fois les conséquences économiques mais aussi les blocages institutionnels et législatifs qui pourraient en limiter la mise en place, tout en dépeignant les acteurs en présences et leur positionnement. On pourra toutefois regretter des arguments qui mettent trop souvent en avant la croissance économique et la consommation, en n’interrogeant la sobriété de notre mode de vie qu’en toute fin d’ouvrage. De même, la confiance presque aveugle et irréaliste en la capacité de la démocratie à faire évoluer le mandat des institutions monétaires et à s’emparer de leur gestion dans un délai compatible avec l’urgence climatique affaiblit le propos général mais ouvre la question essentielle de la gouvernance.

Enfin, l’image de la situation que dressent Grandjean et Dufrêne cible explicitement les institutions européennes, déjà largement décriées pour leur aspect technocratique et leur organisation complexe, alors même qu’elles sont au cœur des solutions qu’ils proposent. Sans le vouloir, ils poussent ces mêmes instances au cœur d’un débat démocratique sur le fondement de leur existence – qui soustrait une part de la souveraineté monétaire aux États – en envisageant pourtant de leur confier davantage de prérogatives. Un tel paradoxe souligne la dynamique intellectuelle qui se joue sur la place éminente de la monnaie dans notre société et nous montre, malheureusement, que les contours de sa fonction dans la transition écologique ne sont pas encore complètement tracés.

Milien Dhorne, doctorant « Évaluation ex-ante d’une réforme des politiques publiques de soutien à la transition énergétique ».

[1] Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, « Une monnaie écologique », Edition Odile Jacob, 2020.