Interviews

3 questions à Jacques Papy

Publié le 26 avril 2018

 

Jacques Papy est Professeur agrégé en droit de l’entreprise à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur différents aspects juridiques de la mise en œuvre du marché du carbone au Québec et au Canada.

Il a présenté lors d’un Friday Lunch Meeting de la Chaire en date du 6 avril ses travaux sur les enjeux juridiques de l’entente pour le Système de plafonnement et d’échange de GES du Québec ainsi que l’articulation de ce dernier avec le programme fédéral canadien de tarification du carbone.

 

Quels sont les enjeux clefs du cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ?

Le cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques entrera en vigueur au cours de l’année 2018. Sa portée est large et comprend des mesures de tarification du carbone, des mesures complémentaires de réductions des émissions ainsi que des mesures visant l’adaptation aux changements climatiques. Ce sont les mesures de tarification du carbone qui ont principalement retenu l’attention. Elles prévoient notamment une trajectoire de tarification du carbone de 10$ CA à 50$ CA la tonne entre 2018 et 2022. L’intelligence de ces mesures est d’avoir reconnu la diversité des modalités de tarification du carbone déjà mises en place par plusieurs provinces et de prévoir « un filet de sécurité » tarifaire pour celles qui ne se conformeraient pas à la trajectoire de prix prévue.

Néanmoins, les mesures de tarification du cadre pancanadien soulèvent d’importants enjeux de nature technique, constitutionnelle et politique.

L’établissement d’une équivalence tarifaire entre une taxe carbone, un programme fondé sur des cibles d’intensité des émissions et un système de plafonnement et d’échange ne sera pas aisément réalisé et présente de nombreux défis techniques.

Par ailleurs, les mesures de tarification du carbone risquent d’être embourbées dans la querelle continue entre le gouvernement fédéral et les provinces sur leurs compétences constitutionnelles respectives en matière de lutte contre les changements climatiques.

Enfin, l’incertitude réglementaire pourrait être prolongée par les divisions de la classe politique canadienne au sujet de la tarification du carbone. Ainsi, le parti conservateur du Canada a exprimé son désaccord avec les mesures de tarification du carbone prévues dans le cadre pancanadien.

S’il est porté au pouvoir lors des prochaines élections fédérales qui auront lieu à l’automne 2019, ces mesures pourraient être sérieusement remises en question puisque son chef, Andrew Sheer, a annoncé que son premier geste en tant que chef du gouvernement serait d’abolir la tarification fédérale du carbone.

 

Selon vous, la structure des ententes de liaison entre marchés du carbone au sein de la WCI est-elle transposable à d’autres régions ? Cela peut-il se faire dans le cadre de l’accord de Paris ?

La première entente de liaison entre les marchés du carbone de la WCI a été signée en 2013 entre le Québec et la Californie. En septembre 2017, à l’occasion de l’accession de l’Ontario, elle a été remplacée par une seconde entente qui en reprend principalement les termes. Elles ont été structurées de manière à maximiser les bienfaits d’une liaison des marchés du carbone dans un cadre flexible. Ainsi, l’entente de 2017 comprend des dispositions qui concernent la protection de l’intégrité environnementale des objectifs régionaux de réduction d’émissions de GES, la reconnaissance mutuelle des droits d’émission ainsi que le développement d’une capacité institutionnelle régionale. En cela, il me semble que la structure de ces ententes pourrait servir de modèle et être transposée à d’autres régions.

Toutefois, il faut bien comprendre les limites de ce modèle. En effet, ces ententes formalisent avant tout un mode de collaboration très souple qui se poursuit depuis maintenant 10 ans entre un petit nombre de partenaires et qui porte sur l’harmonisation de leurs systèmes de plafonnement et d’échange. Les ententes ne sont donc pas le fruit d’une négociation contractuelle qui consacrerait une série de compromis, en échange d’une fondation juridique dont la stabilité permettrait de réduire l’incertitude réglementaire et de coordonner de grands groupes.

Par conséquent, le caractère transposable de la structure de ces ententes se trouve, selon moi, limité à de petits groupes de partenaires prêts à s’engager dans un effort collaboratif à long terme.

En réponse à la deuxième partie de votre question, il est vrai que la WCI s’inscrit parfaitement dans le discours actuel sur l’organisation de l’action collective internationale de lutte contre les changements climatiques qui mobilise une démarche ascendante et une large panoplie d’acteurs autres que les États. À ce titre, elle est souvent citée comme un exemple réussi de club de marchés du carbone qui pourrait tirer avantage du mécanisme prévu à l’article 6 de l’Accord de Paris.

D’ailleurs, la Californie, le Québec et l’Ontario en font activement la promotion sur la scène internationale. Cependant, il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’utilisation de ce type d’entente de liaison dans le cadre de l’Accord de Paris. Les Parties à l’Accord doivent d’abord régler la question de la nature juridique des résultats d’atténuation transférés au niveau international et adopter le fameux « rulebook » de l’article 6 qui donnera les modalités de leur utilisation.

Nous devrions y voir plus clair après la COP24 qui aura lieu à Katowice à la fin de l’année 2018.

Vous avez récemment présenté vos travaux à la Chaire Économie du Climat, quelles pistes de collaboration pouvez-vous envisager dans le futur ?

Cela fait maintenant plusieurs années que je suis avec grand intérêt les travaux de la Chaire Économie du Climat dans le domaine de la tarification du carbone et des transitions énergétiques. Leur haute qualité, l’accent mis sur l’innovation ainsi que la place faite aux chercheurs de la relève font de la Chaire, un carrefour d’échange riche et inspirant.

Je crois à la nécessité d’un dialogue entre économistes et juristes comme l’un des fondements de la régulation économique de l’environnement, et particulièrement de l’élaboration des politiques de la transition écologique. La Chaire est une plateforme idéale pour la conduite d’un tel dialogue.

Dans le futur, des collaborations aux réflexions menées par la Chaire seraient par exemple envisageables autour des enjeux de liaison des marchés du carbone, ainsi que du rôle de ces liaisons dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris.