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Interview de Patricia Savin

Publié le 18 juillet 2018

Avocate au barreau de Paris depuis 1995, Patricia Savin est docteur en droit et diplômée de l’IHEDN. Elle est associée au cabinet DS-Avocats et préside l’Association Orée depuis 2012.

Orée a été parmi les premiers acteurs à lancer des travaux de recherche appliquée sur le lien entre économie, atténuation du changement climatique et protection de la biodiversité. C’est pourquoi nous avons interrogé Patricia Savin à la suite du lancement du plan biodiversité par Nicolas Hulot le 4 juillet dernier :

Pourquoi l’approche « en silo » ne fonctionne pas pour la protection de la biodiversité ?

Par principe, les approches en « silo » ne peuvent apporter que des réflexions et donc des solutions parcellaires et incomplètes. Ceci est encore plus vrai pour les enjeux liés à la biodiversité. Par biodiversité, rappelons qu’est visée la Diversité Biologique intégrant l’humain, et par déclinaison ses activités. Or, toute activité humaine génère un impact sur son environnement et donc la diversité biologique qui compose son environnement.

Fort d’une approche globale, OREE s’est intéressée à l’occasion de la COP 21 aux interdépendances entre climat et biodiversité en s’appuyant sur des éléments de contextes posés par des experts du climat et de la biodiversité, et en s’éclairant des retours d’expériences de collectivités et d’entreprises. La publication « Climat et Biodiversité : enjeux et pistes de solutions » pose ainsi le cadre d’une réflexion globale.

Dans la continuité, une nouvelle note de réflexion produite à l’occasion de la COP 23 questionne les impacts des énergies renouvelables vis-à-vis de la biodiversité ; l’objectif étant de parvenir à concilier transition énergétique, protection de la biodiversité et résilience des écosystèmes. De même, une réflexion croisée est menée sur la thématique biodiversité et bâtiments.

Quelles nouveautés apportent en la matière le nouveau plan dévoilé par Nicolas Hulot début juillet ?

Le Plan Biodiversité montre l’investissement et surtout l’engagement du Gouvernement dans la protection de la biodiversité. Une volonté assumée d’améliorer la prise en compte de la biodiversité dans tous les secteurs et de renforcer le corpus législatif protégeant l’ensemble de notre environnement. Ces objectifs imposent une ligne directrice à toutes les communes, collectivités territoriales et plus généralement à tous les acteurs publics ou privées afin que ces derniers intègrent de manière pratique et concrète la protection de l’environnement dans tous leurs projets.

L’un des axes de travail important à relever est celui du renforcement de la lutte contre l’artificialisation des sols, devant permettre de lutter contre la consommation des espaces naturels du fait d’un étalement urbain très important, impliquant que les sols sont de moins en moins perméables.

De plus, le Gouvernement entend sensibiliser les acteurs publics lors du renouvellement des politiques d’urbanisme et d’aménagement commerciales qui devront désormais être pensées pour atteindre l’objectif « zéro artificialisation des sols nette ». Ces modifications impacteront nécessairement les contrats de marchés publics, plus stricts sur un plan environnemental. Cette lutte contre l’artificialisation des sols sera donc une priorité lors de la définition des politiques d’urbanisme qui touchera l’ensemble des acteurs publics ou privés du niveau national au niveau communal.

Quels sont les leviers pour concilier atténuation au changement climatique et protection de la biodiversité ?

Le Plan Biodiversité, par l’ensemble de ses objectifs, vise à renforcer et à améliorer la mise en œuvre du triptyque « éviter – réduire – compenser », comme l’a fait la notion de compensation écologique.

A ce titre, l’article 69 de la loi Biodiversité a imposé une réelle prise en compte de la protection de l’environnement par tous les acteurs dans tous leurs projets. Le Plan biodiversité reste dans la continuité des lois Biodiversité et Transition Energétique et les textes qui seront issus de ce dernier complèteront notre corpus législatif et réglementaire pour une meilleure protection de notre patrimoine commun.

Le Gouvernement fait la promotion de bilan de biodiversité à l’instar des bilans carbones. Qu’en pensez-vous ?

La création de labels, indicateurs ainsi que l’obligation pour les acteurs de réaliser des bilans environnementaux a permis de renforcer de manière concrète la prise en compte de la protection de l’environnement par les différents acteurs publics ou privés.

La réalisation des bilans biodiversité est encore aujourd’hui complexe, mais en obligeant les entreprises à établir de tels bilans, ces dernières mettront à jour des leviers d’amélioration qui ne leur seront que bénéfiques. 

Pour exemple, l’indicateur d’interdépendance des entreprises à la biodiversité (IIEB) d’OREE est aujourd’hui largement accepté et s’applique dans de nombreux secteurs d’activité. De même, OREE a réalisé une méthode permettant aux entreprises de réaliser une forme de pré-bilan biodiversité, à travers la conception d’un Modèle de Gestion de Viabilité des socio-écosystèmes (MGV).

-Quels rôles et poids des collectivités locales ?

Le Plan Biodiversité intègre à l’échelle européenne des critères environnementaux dans les contrats de marché public, pour rendre lesdits contrats exemplaires.

Avec ce dispositif spécifique, le Plan Biodiversité souhaite renforcer l’obligation établie par l’article 30 de l’Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Tous les acteurs, qu’ils soient issus du secteur publics ou privés, doivent favoriser les achats éclairés et responsables afin de promouvoir une logique vertueuse dans chacun de leurs projets.

Par conséquent, la présence de clauses environnementales dans les contrats de marchés publics est essentielle et elle doit être promue plus généralement à l’ensemble des contrats qu’ils soient pour des marchés publics ou privés, cela afin de favoriser un nivellement par le haut de l’ensemble des filières.